CORÉE DU NORD
Courir un marathon à Pyongyang
Les opinions exprimées dans cet article sont les miennes et n’engagent en rien Koryo group, KITC ou mes guides.
Depuis 2014 le Marathon de Pyongyang est ouvert aux sportifs amateurs étrangers. Curieux de vivre une telle expérience dans la « nation la plus secrète de la planète », j’ai participé à la compétition en avril 2016 aux côtés de 1 800 autres coureurs nord-coréens et étrangers.
Très encadré par l’État, le tourisme en Corée du Nord est une machine bien huilée. À aucun moment le visiteur n’est autorisé à se promener librement dans le pays, il est accompagné par deux guides pour toute la durée de son séjour. Son passeport lui est retiré à l’arrivée et restitué à la sortie après une fouille approfondie de ses affaires personnelles et de ses photographies. Si les compromis à accepter pour visiter la Corée du Nord sont nombreux, la visite est aussi fascinante que terrifiante et étrange.
Le visa pour la Corée du Nord se présente sous la forme d’un petit papier plié, afin de ne laisser dans son passeport aucune trace d’une visite.
À bord du vol JS152 d’Air Koryo : la compagnie aérienne nord-coréenne qui assure la liaison Pékin – Pyongyang.
Vue sur Pyongyang, le fleuve Taedong et la tour du Juche, depuis ma chambre au dix-neuvième étage de l’hôtel Yanggakdo International.
L’hôtel Yanggakdo est situé sur l’île de Yanggak à deux kilomètres au sud-est du centre de la ville. Haut de 47 étages, le cinquième étage ne figure pas sur le pavé numérique de l’ascenseur. Cet étage interdit au public, serait en réalité un complexe de surveillance de l’hôtel.
En plus d’une salle à manger au rez-de-chaussée, l’hôtel dispose d’un restaurant tournant installé au sommet du bâtiment. Le sous-sol comporte des pistes de bowling, une salle de billard, une piscine, un barbier, un casino… Tout est fait pour garder le visiteur dans l’hôtel.
Métro de Pyongyang. À la station de Yonggwang, une fresque représente Kim Jong Il surnommé le « Dirigeant bien-aimé » au pouvoir entre 1994 et 2011, devant le Mont Paektu. Les organes de presse étatiques soutiennent qu’il est né dans cette région, alors que les archives soviétiques montrent qu’il est né en Russie.
Vitrine de l’état, le métro de Pyongyang a été créé en 1973. Station de Puhung.
Le métro de Pyongyang utilise les anciennes rames de l’Allemagne de l’Est où des graffitis sont visibles dans certains wagons.
Le réseau comporte 16 stations réparties sur 2 lignes et de nombreuses rumeurs rapportent qu’un réseau secret serait en service pour le gouvernement.
Le métro se caractérise par une architecture soignée, riche en fresques, en mosaïques, en marbre et en bronzes monumentaux mettant en valeur les réalisations du socialisme coréen.
Au milieu du quai, les journaux d’état sont en lecture libre. Ici le « Rodong Sinmun », le journal officiel du Parti du travail de Corée. En Corée du Nord, il est indispensable de faire preuve d’un grand respect pour le gouvernement et ses dirigeants. Il est par exemple impossible de plier un journal sur lequel apparaît la photo de Kim Jong-un, de le déchirer ou de le jeter à la poubelle… sous peine d’être considéré hostile au régime.
À 110 mètres de profondeur, cela prend environ 4 minutes en escalator pour atteindre les quais. Le métro de Pyongyang est donc le métro le plus profond du monde, ce qui se révèle être un considérable atout en cas d’attaque nucléaire.
Rush hour ?
En attendant le métro.
Nos deux guides pour visiter le « Victorious Fatherland Liberation War Museum », florilège de la propagande antiaméricaniste.
L’entrée du musée, dans un style architectural soviétique très léger.
En arrière-plan, l’hôtel Ryugyong, emblème de Pyongyang. C’est un gratte-ciel pyramidal de 105 étages dont la construction a dû être interrompue en 1989 à la dislocation de l’Union soviétique en raison de l’abandon du soutien de l’URSS à la Corée du Nord. Pendant 16 ans, l’hôtel est resté inachevé jusqu’à ce qu’un groupe égyptien amène les fonds pour achever la construction extérieure de l’édifice en 2008. L’aménagement de l’intérieur du bâtiment n’a aujourd’hui toujours pas été réalisé contrairement aux dires du gouvernement.
Deux jeunes mariés proches du parti, venus se recueillir sur le lieu de culte de Mansudae, érigé à la gloire du Président Kim Il-sung et du Général Kim Jong-il. En Corée du Nord, la liberté de religion est inexistante. La seule qui existe est la religion vouée à l’état socialiste et aux Kims.
La pauvreté n’est pas véritablement visible dans Pyongyang. D’un côté, elle est masquée au visiteur en l’empêchant de se déplacer librement et de l’autre les plus défavorisés sont exclus de la capitale. Toutefois au sein même de la population de Pyongyang, des différences de richesse subsistent.
Grands Monuments de Mansudae. Épicentre du culte voué aux Kims, les gens déposent des fleurs aux pieds des gigantesques statues de bronze, afin d’honorer le Président Kim Il-sung et le General Kim Jong-il avant de se mettre en ligne pour s’incliner devant eux.
Pyongyang et le futuriste hôtel Ryugyong.
La propreté des rues et l’absence totale de publicités ou d’enseignes commerciales, font de Pyongyang une ville hors du temps.
Rassemblement militaire pour une raison inconnue.
Vue sur les immeubles de Pyongyang depuis le sommet de la tour du Juche haute de 170 mètres.
Si le nombre de voitures circulant dans Pyongyang s’accroît d’années en années, notamment avec des voitures très bon marché provenant de Chine, la circulation reste relativement faible. On peut observer le stade du Premier-Mai en arrière-plan.
Le fleuve Taedong scindant la capitale en deux.
Répétition d’un spectacle de masse sur Kim Il-sung Square.
D’après notre guide, c’est 50 000 personnes qui répètent des gestes et mouvements très précis.
Tous en ligne, des groupes se relaient du matin au soir.
Les danses de masse sont emblématiques de la Corée du Nord. À certaines occasions dans l’année, les étudiants des universités locales se retrouvent sur de grandes places pour danser.
Au son d’une musique nationaliste, les couples de danseurs se meuvent dans une harmonie parfaite. Certains d’entre nous se sont même joints à la danse dans un signe de rapprochement culturel et d’amitié.
Les femmes sont habillées avec le traditionnel « hanbok » coréen tandis que les hommes portent un costume.
À l’intérieur de la bibliothèque de Pyongyang, appelée la « Grande maison des études du peuple ». Le bâtiment comporterait 30 millions de livres.
Lors de ma visite en avril, la bibliothèque était glacée, sans chauffage. En hiver, la température moyenne minimale à Pyongyang est de -13°C…
Salle d’étude dans la bibliothèque. L’arrivée bruyante et fortuite d’un groupe d’une vingtaine de touristes n’a pas généré le moindre regard de réprobation, comme si la fonction première des occupants n’était que figurative…
Concentration sous les yeux des deux Kims.
Départ du marathon à 9h30 depuis le stade du Premier-Mai. Les règles du marathon de Pyongyang sont strictes : 4h maximum. Au-delà, l’accès au stade est fermé et une voiture-balai récupère les retardataires. N’ayant jamais couru un marathon en moins de 4h13, dire que j’étais serein au départ serait un mensonge.
Au bout de 21 kilomètres, je m’arrête quelques secondes pour immortaliser ma course, le stade du Premier-Mai dans mon dos. © David de Souza
Arrivée sous les applaudissements de la foule, au terme de 3h52 d’effort.
Avec une capacité de 150 000 places, ce stade est à ce jour le plus grand stade du monde.
Photo à l’arrivée du marathon dans le stade du Premier-Mai. J’ai rencontré Dave à Pyongyang avec qui j’ai fait toute la course. Plus préparé que moi, Dave m’a soutenu et entraîné sur les 10 derniers kilomètres pour finir en moins de 4h. Dave s’est lancé le défi de courir 7 marathons sur 7 continents, la Corée du Nord était son sixième marathon, il lui manque maintenant le marathon de l’Antarctique…
Gare centrale de Pyongyang, je monte dans un train pour Sinuiju, à 220 kilomètres au nord du pays.
Une femme achète quelques provisions pour les 5 heures de train à venir. Un acte anodin que le touriste étranger ne peut effectuer, puisqu’il n’a pas accès au Won, la monnaie locale. Pour faire des achats, les visiteurs peuvent uniquement se rendre dans des magasins d’état où les devises étrangères sont acceptées.
Conversation entre deux guides touristiques sur le quai, dans la gare de Pyongyang.
Les restrictions photographiques en Corée du Nord sont assez importantes. Il est interdit de photographier les militaires ou toute scène de pauvreté par exemple. À travers la fenêtre du train, je me suis toutefois permis de prendre quelques libertés.
Le fonctionnement des campagnes se base sur un système collaboratif où les ressources et produits sont redistribués.
Les voitures et transports en commun sont très rares en dehors de Pyongyang. Dans les campagnes, les routes ne sont pas bitumées et la majorité des habitants se déplace à pied ou à vélo.
En face, la ville de Dandong en Chine. À un jet de pierre d’un tout autre monde, nous captons sur nos téléphones le réseau cellulaire chinois. Les téléphones portables dont certains nord-coréens disposent ne peuvent quant à eux pas recevoir ce réseau, toutefois un marché noir de téléphones provenant de Chine se développe. Les appels internationaux étant strictement interdits en Corée du Nord, le gouvernement brouille les ondes et met sur écoute les réfractaires, qui s’exposent à de sévères sanctions.
Le wagon dans lequel je me trouve est gardé par des policiers tout le long de mon voyage.
Les nord-coréens ne peuvent pas se déplacer librement dans leur propre pays. Ici un checkpoint militaire dans la campagne aux abords de Sinuiju.
Sinuiju, ville transfrontalière avec la Chine où une grande partie des échanges commerciaux sont effectués et du trafic illégal transite.
À l’occasion d’une visite dans une école de musique, un groupe d’enfants âgés d’environ 5 ans nous donne un spectacle saisissant, tant par son exécution millimétrée que par son patriotisme sans limite. Un endoctrinement terrifiant qui commence dès le plus jeune âge.
Les paroles de leurs chants traitent de la vie en Corée du Nord sous l’occupation japonaise entre 1910 et 1945 et d’anti-américanisme.
Pendant plus d’une heure, les enfants multiplient les danses et les chants, nous laissant sans voix.
Les professeurs de l’école nous livrent une prestation similaire pour clore le spectacle.
Au terme de cinq jours de visite, je regagne la Chine par le poste frontière de Dandong. Cinq jours au cours desquels j’ai parfois eu l’étrange sensation de me trouver sur le plateau d’un film, où tout le scénario tournait autour de la célébration du socialisme et de ses dirigeants autoritaires, où tous les acteurs et les figurants jouaient un rôle patriotique, sans la moindre fausse note ni l’ombre d’une contestation.
Une visite en Corée du Nord est une visite qui ne laisse pas indifférent. Si pour certains elle peut sembler futile, voire cautionner la dictature, d’autres y voient la curiosité de vivre de l’intérieur un régime communiste au XXIe siècle. À mon sens, la présence de visiteurs étrangers en Corée du Nord qui apportent à une population opprimée la preuve tangible qu’un autre monde existe, ne peut nuire aux nord-coréens. Courir le marathon de Pyongyang est une expérience humaine émouvante où les valeurs du sport ne connaissent aucune frontière. Pour participer au marathon ou se rendre en Corée du Nord, prenez connaissance des services de Koryo Tours.
Article paru en juillet 2017 dans le National Geographic Traveler France.