EXPÉDITION GROENLAND
À skis-pulka dans l’est du Sermersooq
En avril 2015, je me suis rendu à Kulusuk sur la côte Est du Groenland pour une expédition polaire et pour recevoir une formation sur les techniques de survie et d’évolution en milieu extrême. Pendant deux semaines c’est avec Christian un guide suédois et quatre autres garçons d’Écosse, d’Angleterre, d’Afrique du Sud et d’Israël que j’ai skié sur la banquise groenlandaise pour un total de 150 kilomètres. Une expérience décapante, sauvage et enrichissante.
Direction Kulusuk, un village situé sur la côte Est du Groenland dans la municipalité de Sermersooq.
De mon hublot, j’aperçois la banquise et la glace dérivante — un spectacle que j’attendais depuis longtemps.
L’aéroport est situé un peu à l’écart des habitations. C’est à pied en une petite demi-heure, que nous gagnons le village.
Bien que largement bénéficiaires de subventions de l’état, les Inuits vivent encore aujourd’hui de la pêche et de la chasse. Le poisson est stocké à l’extérieur des maisons, au congélateur.
Après avoir dépecé sous nos yeux un phoque fraîchement chassé, un Inuit se régale de la chair encore chaude de ce dernier.
Les phoques sont en général chassés sur la glace depuis un bateau à moteur ou un kayak. Dans le temps les Inuits utilisaient le « hakapik », une hampe au bout de laquelle est fixée une pointe métallique, aujourd’hui ils utilisent des fusils.
Pratiquée traditionnellement depuis plusieurs milliers d’années surtout pour l’alimentation humaine, la chasse au phoque permet de récupérer la fourrure mais aussi la viande, la graisse et les os.
Rien n’est jeté. Les meilleurs morceaux sont consommés par les familles, tandis que les abats sont destinés aux chiens de traîneaux.
Selon Christiansen, le créateur du drapeau du Groenland, la partie blanche supérieure du pavillon représente les glaciers, qui recouvrent 80 % de l’île. La partie rouge inférieure représente, elle, la mer. Le demi-cercle rouge rappelle le soleil et le demi-cercle blanc évoque quant à lui les icebergs qui dérivent au large du pays. Le drapeau rappelle aussi le soleil couchant se reflétant dans la mer.
Au dernier recensement de 2010, la population était de 286 habitants à Kulusuk.
Des chutes de neige et un vent fort nous contraignent à retarder d’une journée notre départ pour commencer notre expédition dans des conditions plus favorables.
Les maisons groenlandaises se caractérisent par leurs couleurs vives. Si elles sont relativement confortables à l’intérieur, peu de familles ont l’eau courante. L’eau potable est puisée d’un lac où une pompe à eau est installée.
L’école de Kulusuk, reconstruite en 2005 accueille 70 enfants.
Le week-end, des courses de chiens de traîneaux sont organisées sur la banquise. Cinq attelages de dix chiens prennent le départ d’une course de plusieurs tours dans les environs de Kulusuk avec la ligne d’arrivée à l’entrée du village.
Le chien du Groenland est un chien qui se distingue par sa force et sa célérité. Mais en raison d’un instinct de meute, il nécessite un maître ferme et résolu pour être un bon animal de compagnie ou de trait.
Un chien du Groenland de quelques semaines.
En avril, à l’approche du printemps, l’océan commence à reprendre ses droits et à se défaire de la banquise hivernale.
Dans une maison avant le départ de l’expédition, nous faisons l’inventaire du matériel et nous nous répartissons la nourriture que nous emmenons sur la glace.
Chacun de nous skiera en tirant une pulka d’environ 60 kilos.
Je suis ébahi par la beauté immaculée de l’environnement dans lequel je me trouve.
La personne en tête faisant la trace, doit redoubler d’effort dans la neige molle pour arracher le traîneau à la glace et progresser.
Sur l’île d’Apusiaajik, nous construisons comme tous les soirs un mur de glace autour des tentes pour se protéger du vent, qui peut être très violent au Groenland.
Avec Richard, Noam, Ben, Luke et Christian, nous préparons l’itinéraire du lendemain (de gauche à droite).
Dès que le soleil se couche, la température descend considérablement. Pour se parer du froid, il est essentiel de multiplier les couches de vêtements.
Le midi nous nous alimentons de crackers, de fromage et de fruits secs. Le soir, nous avons plus de temps et réhydratons des plats lyophilisés, en faisant fondre de la neige sur nos réchauds multi-combustibles. Ici, 800 Kcal de « chicken vegetable pasta ».
La nuit tombée, alerté par l’un d’entre nous, nous sortons de nos duvets un peu avant 22h pour observer pour la première fois le phénomène magique des aurores boréales. Elles sont provoquées par l’interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère.
Lorsque je fais la trace en tête, le regard droit vers l’horizon, je suis épris d’un sentiment puissant de liberté.
Nous progressons la majeure partie du temps sur les fjords gelés et campons sur la terre ferme. Toutefois, il arrive à cette époque de l’année que l’épaisseur de la glace soit trop fine pour s’y risquer, c’est pourquoi nous coupons à travers une île que nous escaladons afin de continuer notre route.
Tous les soirs nous établissons autour du camp 8 pieux reliés les uns aux autres par un fil de nylon. Ce dispositif est un système de protection contre les ours polaires, nombreux sur les côtes du Groenland. Si un ours venait à se rapprocher de nos tentes, il déclencherait ainsi en tirant le fil dans sa marche une série de détonations. Dans le meilleur des cas, le bruit lui ferait prendre la fuite instantanément, autrement il nous mettrait en alerte. Toutefois, cette technique de protection n’est pas infaillible et systématiquement après le dîner nous enneigeons à proximité du camp toute notre nourriture dans deux pulkas fermées l’une sur l’autre et ficelées entre elles. Nous faisons également toutes les nuits une « bear watch » qui consiste à une veille en relais de 2h chacun pour prévenir une éventuelle visite nocturne.
À l’instar des vents catabatiques en Antarctique, la région est connue pour des vents très violents appelés les vents Piterak, pouvant atteindre la vitesse de plus de 300 km/h.
Sous les rafales nous montons en vitesse le camp et attachons tout ce qui reste dehors pour ne pas le perdre : soit emporté par les bourrasques, soit enseveli sous la neige. Nous passerons 36h bloqués sous la tente en raison de la tempête, sortant toutes les deux heures pour dégager la neige que le vent accumule sur la tente malgré notre mur de protection.
Quand nous le pouvons, nous profitons d’établir le camp assez tôt pour grimper au sommet des petites montagnes qui nous entourent.
Lors de ces excursions, nous délaissons nos skis et nos pulkas, mais ne nous séparons pas de notre fusil en cas de rencontre avec un ours polaire.
Les monticules au loin sont des icebergs attendant la fonte des glaces pour se libérer de l’emprise de la mer gelée.
En terrain vallonné, nous déchaussons plus d’une fois nos skis pour monter sur la crête. Un effort qui se révèle éprouvant avec la neige profonde, l’inclinaison de la pente et le poids de la pulka.
Le terrain sur la côte est du Groenland n’est en rien monotone. Les montagnes, les icebergs et les passages d’eau libre sont autant de repères que le regard accroche afin d’avancer.
Nous nous déplaçons entre 6 et 8h par jour. Chaque session dure 50 minutes au terme de laquelle nous faisons quelques minutes de pause pour s’alimenter avant de reprendre la marche.
Une voûte verte hypnotisante danse dans le ciel. Si la formation d’aurores boréales est expliquée très rationnellement par la science, elle prend une dimension mystique dans ces lieux si sauvages et transcende l’observateur.
Luke Robertson, un écossais de 30 ans avec qui je partageais ma tente pendant la moitié de l’expédition. En janvier 2016, Luke est devenu le premier écossais et le deuxième plus jeune de l’histoire à skier de la côte de l’Antarctique (Hercules Inlet) au Pôle Sud, en solo et sans ravitaillement. Une expédition de plus de 1130 kilomètres, pendant 40 jours sur le continent le plus hostile de la planète. Retrouvez les aventures de Luke sur son site internet www.lukerobertson.org
Christian Edelstam, notre guide suédois pour l’expédition.
Au terme de 11 jours d’expédition et 150 kilomètres, nous regagnons Kulusuk et nous réjouissons à l’idée d’une douche chaude !
Sur le retour, les conditions météo ne nous permettant pas de décoller, nous attendons pendant 4 jours une accalmie afin de finalement prendre l’avion pour Keflavík en Islande.
Le Groenland, de loin l’une des terres les plus sauvages que j’ai pu fouler. Je reviendrai.