FEDCHENKO, LE GLACIER OUBLIÉ

Expédition sur le plus long glacier de montagne du monde

Oublié du monde et exploré seulement en 1928 par une expédition germano-soviétique, le glacier Fedchenko est le plus long glacier du monde en dehors des régions polaires. Sa langue glaciaire mesure près de 77 km et est entourée de sommets culminants à plus de 7000 m d’altitude dans le Pamir, au Tadjikistan.

La fonte des glaciers du Pamir est un enjeu majeur pour la région. Leurs eaux de fonte sont retenues par des barrages titanesques et s’épuisent à travers les déserts et les cultures de coton de l’Ouzbékistan. Il fut un temps où elles remplissaient la lointaine Mer d’Aral, quasiment asséchée aujourd’hui…

C’est le point de départ de notre aventure. Avec l’écrivain-voyageur Cédric Gras et le réalisateur Christophe Raylat, nous sommes remontés de la Mer d’Aral en Ouzbékistan jusqu’aux sources du glacier Fedchenko au Tadjikistan.

Une aventure en partenariat avec PICTURE, marque éco-responsable de vêtements outdoor.

L’ancienne mer d’Aral, à Moïnak en Ouzbékistan. Jusqu’au début des années 80, il y avait une mer ici, les riverains pêchaient, les Soviétiques y prenaient leurs premiers congés payés.

Et puis lentement, le niveau de l’eau a baissé, la mer s’est retirée jusqu’à disparaitre, laissant place au désert. En une génération tout était terminé.

Aujourd’hui, des centaines d’épaves de bateaux gisent à même le sable.

La mer a reculé si loin qu’il faut près de 4 heures de 4×4 pour trouver ses eaux. Quand elles apparaissent enfin, un bleu profond réjouit le regard lassé des terres ocres. Le soleil est brûlant, l’évaporation colossale et pas un nuage pour faire ombrage. Voilà tout ce qu’il subsiste d’une des plus vastes étendues lacustres au monde.

Le taux de salinité de la mer d’Aral est si élevé que nous flottons tels des bouchons à la surface de l’eau. Difficile de croire que cette eau devenue si salée à cause de l’évaporation, provient presque exclusivement des glaciers du Pamir, situés à 2 000 km d’ici. C’est pour cela que nous avons voulu commencer notre voyage à la mer d’Aral afin de mieux remonter vers ses sources.

Si la mer d’Aral part en vapeur, c’est parce que le puissant fleuve Amou-Daria ne l’abreuve plus. L’irrigation abondante des cultures et les besoins d’une démographie croissante l’épuisent désormais bien en amont.

Les dernières gouttes du fleuve se perdent dans les sables.

Au sud, le Turkménistan prélève la moitié du débit pour sa survie et encore plus à l’est, l’Afghanistan l’a en partage avec le Tadjikistan. Autant de pays pour lesquels ces eaux sont vitales. L’Amou-Daria est à l’Asie centrale ce que le Nil est à l’Egypte. La seule ressource hydrique ou presque dans une région du monde où les précipitations sont rares et pingres.

Cap vers l’est. Les soviétiques ont laissé un important réseau de chemins de fer en Asie centrale. Le train est un moyen confortable de traverser la steppe.

Avec Cédric devant le Tach Khaouli, un magnifique palais dans l’éblouissante Khiva, la perle de la route de la Soie en Ouzbékistan.

La vie s’est organisée autour du lit de l’Amou-Daria, de ses méandres et des canaux qui détournent le précieux liquide vers Khiva.

Sur le chemin des montagnes, nous parvenons à visiter le barrage de Nourek, gardés par les militaires. Les milliers de glaciers du Pamir forment un précieux château d’eau. Le Tadjikistan est maître du robinet et cet ouvrage record de 304 mètres de haut est aussi imposant que stratégique. Les centrales hydroélectriques produisent environ 93% de l’électricité du pays.

Les villages que nous traversons, comme celui que l’on peut apercevoir en contrebas de la route, sont de vrais oasis au milieu de plaines de cailloux. L’hiver, ils sont complètement coupés du monde. À 3 000 mètres d’altitude, les versants de la montagne se drapent d’un manteau neigeux et les routes sont bloquées.

La piste est aussi dangereuse qu’éreintante. Sable, poussière, passage à gués, pierres, ponts en bois… Notre chauffeur négocie les obstacles avec plus ou moins de maîtrise, souvent en accélérant.

L’unique route pour rejoindre la vallée de Bartang pour commencer notre expédition sur le glacier Fedchenko longe la tumultueuse rivière Piandj (source de l’Amou-Daria) pendant plusieurs centaines de kilomètres et marque la frontière avec l’Afghanistan. Depuis notre voiture nous observons des enfants afghans jouer, des femmes étendre du linge et des hommes travailler dans les champs. Que l’on vive d’un côté ou de l’autre, le recours à l’irrigation est inévitable. En août 2021, les talibans viennent de reprendre le pouvoir à Kaboul. Quelques heures après avoir pris cette photo, nous avons aperçu sur l’autre rive deux 4×4 talibans avec leur drapeau blanc sur le toit.

Après deux jours de route, le chauffeur arrête le moteur de sa Land Cruiser au milieu du village de Pasor. Nous retrouvons l’équipe qui nous accompagnera pour toute l’expédition. Nous nous répartissons le matériel, la nourriture et vérifions nos équipements. Nous allons évoluer en totale autonomie. C’est pour cette raison que nous avons besoin de porteurs pour transporter la nourriture ainsi que tout le matériel électronique nécessaire au tournage du documentaire. Pas de ravitaillement, ni de prise électrique sur le chemin. Nous sommes 9 au total : 5 porteurs, 1 guide local, Cédric, Christophe et moi.

Pasor est un petit village de 200 âmes. Les habitants ici sont ismaéliens, une branche de l’islam chiite. Un peuple de montagnards, hospitalier et solidaire. La culture de blé, de légumes sous serre, l’élevage de vaches et de chèvres leur permettent de survivre en ces terres isolées.

Notre itinéraire vers le glacier Fedchenko. (c) Philippe Godefroy / Terre Sauvage

Départ de l’expédition sous un ciel bleu. Nous partons pour plus de 2 semaines dans les montagnes et sur les glaciers. Nous atteignons le lac Khafraz, perché à plus de 4 000 mètres d’altitude. Il est logé dans un cratère, sa couleur vert émeraude est surréaliste.

Nous commençons l’ascension lentement pour nous acclimater à l’altitude et voir comment notre petite caravane fonctionne.

Ici, il n’y a pas de sentier. C’est à nous de trouver notre chemin vers le glacier Fedchenko.

Nous sommes accompagnés par Hakim, Hamid, Zarballi, Rachim et Simeon, cinq porteurs plus ou moins néophytes et par Anatoli, un alpiniste chevronné des années soviétiques. Certains parlent tadjik, d’autres russe ou différents dialectes pamiris. Cédric est parfaitement russophone ce qui facilite nos échanges avec le groupe.

Anatoli est la seule personne qui connait l’itinéraire jusqu’au glacier. Il s’y est rendu quelques fois.

Rappel de 60 mètres sur une pente raide. Nous descendons prudemment, un par un, en tenant fermement la corde dans les mains. Le terrain est tellement meuble que notre passage détache des pierres aussi grosses que des sacs à dos, qui viennent se fracasser dans le bas de la pente dans un grand nuage de poussière.

Au loin, l’immense langue d’un premier glacier. C’est le Grum Grzhimailo, il coule entre deux flancs de montagne couleur ocre.

Nous prenons pied sur le Grum Grzhimailo : un colosse de glace sur lequel il n’est pas simple de trouver son chemin. Anatoli en tête de cortège cherche un passage à travers le chaos.

Le glacier s’aplanit et nous laisse entrevoir les prochaines vallées.

Nous avançons à petits pas pour ne pas glisser. Il faut être très prudent, au Tadjikistan il n’y a pas de secours en montagne.

Quand vient le soir, nous essayons tant bien que mal de trouver un terrain plat pour établir notre campement. Avant de planter la tente, il faut terrasser, retirer les plus grosses pierres et tailler la glace avec nos piolets.

La nuit, le thermomètre descend sous 0°C. Alors nous sommes heureux le matin de retrouver les rayons du soleil. Je partage ma tente avec Christophe Raylat. C’est lui qui capte toutes les images de notre aventure pour la raconter dans un documentaire.

Le bas du glacier est couvert de pierres et de cailloux. Lentement, nous tentons de trouver une sortie dans ce labyrinthe de séracs et de moraines instables. Anatoli dessine son itinéraire dans les faiblesses du chaos, dans la poussière qui côtoie la pureté des glaces.

Quand nous en sortons enfin, nous arrivons dans une vallée verdoyante : la vallée de Tanimas. À 4 000 mètres d’altitude, nous retrouvons un peu de végétation et marchons avec un peu plus d’aisance sur ce terrain plus hospitalier.

Nous sommes partis depuis 6 jours. Les porteurs ploient sous de lourds sacs à dos. Ils sont surchargés d’affaires inutiles et de provisions abondantes. L’alpinisme soviétique était un alpinisme d’expédition, lourd. Les traditions ont la vie dure d’autant que le matériel léger est ici inaccessible. Il n’y a d’ailleurs presque plus de pratiquants au Tadjikistan.

La vallée côtoie plusieurs glaciers qui alimentent une rivière au débit très puissant. Nous devons la traverser au petit matin lorsque le niveau de l’eau n’est pas trop haut, puisque les glaciers sont moins exposés au soleil.

L’eau est glacée. Elle nous arrive parfois jusqu’à la taille. Il faut avancer progressivement sans lutter contre le courant au risque de se faire emporter.

Au début de l’été, il est impossible de remonter cette vallée à cause du niveau des eaux. Le Fedchenko est décidément bien gardé, mais il se rapproche, encore 2 à 3 jours de marche…

Le glacier Tanimas 3 bouche toute la vallée. Prudemment nous le parcourons en enjambant les maigres crevasses qui le fracture.

Le glacier est strié de rivières d’eau de fonte. L’eau trouve son chemin et forme par endroits des petites réserves qu’il nous faut traverser.

Enfin, le glacier Fedchenko ! Nous l’abordons à 30 km en aval de son bassin d’accumulation. C’est un monstre de glace de 77 km de long, ce qui fait de lui le plus long glacier de montagne du monde ! Sa masse est équivalente à TOUS les glaciers des Alpes réunis. Il est entouré par des montagnes culminant à plus de 7 000 mètres d’altitude.

Nous descendons le glacier sur une vingtaine de kilomètres. S’il est parfois assez plat et nous permet d’avancer vite, nous sommes régulièrement ralentis par des crevasses et des rivières d’eau de fonte qui le traverse.

Sous mes pieds, jusqu’à 1,5 km d’épaisseur. La langue de glace serpente à perte de vue et draine un gigantesque massif. Ce glacier est si grand qu’il me fait penser à une calotte polaire.

Le dixième jour, nous atteignons notre objectif, la station scientifique Gorbunov. Bâtie par les soviétiques à 4 230 mètres d’altitude lors de l’année polaire internationale de 1932, cette station météo désormais abandonnée, surplombe le glacier Fedchenko. 4 personnes venaient y travailler pendant une année (de novembre à novembre) pour y faire des relevés météorologiques : mesure de la température, des précipitations, de la vitesse du vent… Avec le communisme venait cette idée de faire progresser la science.

Le glacier Fedchenko ainsi que tous les autres glaciers du Pamir, sont le château d’eau de l’Asie centrale. Ils sont des réservoirs gigantesques d’eau douce qui alimentent tous les fleuves et rivières en aval. Sans eux, il serait impossible pour les habitants de vivre dans ces régions désertiques.

Le Fedchenko est le plus long glacier de montagne au monde. C’est-à-dire hors calottes polaires où les langues glaciaires peuvent atteindre jusqu’à 400 kilomètres (Antarctique). Au cours des 80 dernières années, la langue du Fedchenko a reculé de 755 mètres, avec une perte de masse totale s’élevant à 3,8 %. Si le réchauffement se fait sentir ici comme ailleurs, la fonte massive n’a toutefois pas encore commencé. D’ici 2 ou 3 décennies cependant, tous les glaciers du Pamir devraient s’amincir. Cela se traduira d’abord par un excès d’eau dans les vallées puis par un tarissement inéluctable. Si la consommation d’eau continue à croître en Asie centrale, la fin du XXIème siècle pourrait connaître des pénuries dramatiques.

Nous prenons possession des lieux et nos repas autour d’une table, ce qui est un petit événement après 10 jours assis à même le sol. Cette nuit nous dormons sur place. Certains dans des tentes, d’autres sur les matelas poussiéreux encore présents dans les chambres…

La station est restée telle quelle après son abandon brutal à la chute de l’URSS, avec ses appareils de mesure, sa bibliothèque, son poste de radio… Les Soviétiques avaient bien conscience de l’importance de ces glaciers pour la vie en Asie centrale. Un réservoir colossal qu’on voudrait croire éternel et qui tranche aujourd’hui avec l’assèchement de la mer d’Aral, située à 2 000 kilomètres de là.

Aujourd’hui, une station météo automatique a été installée. Les données qu’elle renvoie sont cruciales pour observer l’état des glaciers du Pamir.

Pour rejoindre le village de Poimazor, il nous faut d’abord remonter un glacier et passer un col sur un terrain un peu technique.

Nous divisons le groupe en deux cordées. En cette fin d’été, le glacier est dangereux. Les ponts de neige et les crevasses sont nombreuses. Un piolet dans une main et un bâton de marche dans l’autre nous remontons doucement, un pas après l’autre. Nous enjambons les crevasses corde tendue, sans nous attarder.

Le col de Kashola-Yakh à 4 400 mètres d’altitude est notre échappatoire du glacier Fedchenko. Christophe, Cédric et moi somme prêts à amorcer l’ultime descente.

La descente dans les pierres est lente.

La vue sur la vallée est époustouflante. D’un regard, nous prenons connaissance du programme à venir. Il nous faut descendre tout un pan de montagne et regagner un nouveau glacier dans la vallée qui nous mènera à Poimazor.

Après quelques chutes de pierres et quelques glissades nous arrivons fourbus sur le glacier.

La longue marche vers Poimazor est interminable. Nous jouons aux funambules sur les pierres qui recouvrent un glacier noir. Le glacier, en coulant vers la vallée, déplace une quantité phénoménale de sédiments et crée des collines de pierres, de terre et de poussière qu’il nous faut escalader. Le terrain très instable est usant, les pierres roulent sous nos pieds, nous déséquilibrent et nous bouchent la vue vers l’horizon. En 10h, nous parcouru 13 km à vol d’oiseau et atteignons enfin la rivière qui mène à Poimazor et signe la fin de cette expédition.

C’est un glacier méconnu et pourtant c’est le plus long glacier de montagne du monde. Il est si difficile d’accès que presque personne n’y met les pieds. Un terrain très exigeant, avec des descentes en rappel, des rivières à traverser, des pierriers, des crevasses et des cols à 5 000 mètres d’altitude.

Pendant un mois, nous avons remonté le cours de l’eau en suivant l’Amou-Daria. Depuis la mer d’Aral en Ouzbékistan, jusqu’à ses sources : le glacier Fedchenko au Tadjikistan.

Les glaciers du Pamir sont le château d’eau de l’Asie centrale. Ils sont un enjeu central pour la prospérité, la stabilité et la paix dans la région.

Merci à mes camarades d’aventure Cédric et Christophe, à notre guide Anatoli et à toute l’équipe de porteurs : Hakim, Hamid, Zarballi, Rachim et Simeon. Merci aussi à notre partenaire officiel PICTURE qui a rendu possible cette aventure et nos partenaires logistiques et matériels : Tamera, Telloc Satellite, Lyophilisé & Co, Goal Zéro, Samaya, OspreyPetzl et Ledlenser

 

Retrouvez la carte interactive de notre aventure sur LiveXplorer.

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