LE KURDISTAN IRAKIEN
D’Erbil à la plus haute montagne d’Irak
Février 2017, l’Irak est en proie à des combats violents. Mossoul ouest n’est pas libéré et toujours aux mains des djihadistes. Le Kurdistan est une entité politique autonome du nord de l’Irak au carrefour de la Syrie, de la Turquie et de l’Iran. Les conditions de sécurité y sont stables, mais les affrontements sont proches et les esprits profondément marqués par les massacres de Sinjar perpétrés par l’État Islamique (EI) en août 2014. Je n’ai rien préparé. Je suis sans programme pour les 9 jours à venir, si ce n’est de tenter l’ascension du Mont Halgurd, la plus haute montagne du pays. Je suis parti seul pour ne rien refuser. Pour dire oui à tout, au gré des rencontres.
Vol PC374 pour Erbil.
Après une courte escale à Istanbul, j’atterris à Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan irakien. Du haut de la citadelle on observe la place centrale. Les ruelles aux alentours grouillent d’activité, on y trouve des petits restaurants, des marchés ainsi que des terrasses de salons de thé.
Erbil se situe à 80 km à l’est de Mossoul.
La citadelle est le centre historique de la ville. L’année de sa fondation n’est pas connue, mais elle serait la plus ancienne du monde.
À Erbil, l’atmosphère est étonnement calme. C’est étrange et difficile d’imaginer que le pays est en guerre à moins de 100 km.
Je me perds dans les marchés. Curieux de ma présence, les kurdes m’interrogent sur les motivations de mon voyage et m’invitent instantanément à venir prendre un thé avec eux.
Carte topographique militaire de la région montagneuse du nord de l’Irak, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Iran. Depuis la France, j’ai pris contact avec Salar, un guide local qui a accepté de m’accompagner jusqu’au sommet du Mont Halgurd à 3 607 mètres d’altitude. L’ascension n’est pas tellement technique, mais la région est minée et très isolée. Marcus, un voyageur suédois de 21 ans est également dans la région et intéressé pour se joindre à notre petite expédition. Nous partirons donc tous les trois à l’assaut de la montagne. © Marcus Koehne
En route pour Choman, la dernière ville avant l’ascension du Mont Halgurd. Je rencontre Hiwa dans le taxi que nous partageons depuis Erbil. À notre arrivée, il me propose de m’héberger au lieu de me laisser aller à l’hôtel. Après quelques politesses, j’accepte et Salar ainsi que Marcus nous rejoignent pour boire du thé et manger des gâteaux. Hiwa a mon âge. Il est marié et a une fille. Il nous raconte qu’il sort de prison où il a purgé une peine d’un an pour avoir été en possession de cannabis. Au Kurdistan irakien, le trafic est sévèrement réprimé. Aujourd’hui il est sans emploi.
La majorité des maisons au Kurdistan n’ont pas de chauffage, deux gros radiateurs électriques chauffent la pièce. Mais il ne fera pas chaud longtemps, puisque qu’une coupure de courant nous a plongés dans l’obscurité jusqu’au matin. Dans tout le Kurdistan, les coupures d’électricité sont quotidiennes.
Choman au petit matin. La météo s’annonce belle pour la journée.
Préparation de notre petite expédition. Je laisse tout le superflu chez Salar notre guide, et prends l’essentiel dans mon sac à dos : crampons, piolet, tente, sac de couchage, tapis de sol, nourriture pour deux jours, réchaud, bouteilles vides…
En hiver, la route qui mène au point de départ de l’ascension est bloquée par la neige. Un ami de notre guide nous emmène le plus haut possible dans son 4×4.
Nous commençons à grimper dans la neige en début de matinée. Il n’y a pas âme qui vive, nous sommes seuls à des kilomètres à la ronde.
Quelques animaux ont toutefois laissé leurs traces.
Nous sommes autonomes en nourriture et nous remplissons nos bouteilles aux sources que nous croisons. Ici, l’eau libre a creusé un véritable puits que nous contournons.
Non progressons lentement sur la montagne en direction du camp de base d’où nous partirons pour le sommet.
Au coucher du soleil, la température baisse brusquement. L’annonce d’une nuit fraîche.
À la fin de la journée, nous sommes à un peu moins de 3 000 mètres d’altitude. Vue sur la route effectuée.
Nous sommes à la recherche d’un terrain plat pour planter notre tente avant que la nuit tombe.
Après une journée à marcher dans la neige, nos chaussettes sont inévitablement mouillées et nous tentons de les faire sécher sur notre réchaud pour rendre le départ du lendemain un peu plus agréable.
-20°C. La nuit a été rude. Les chaussettes n’ont pas séchées et il nous faudra une petite heure pour réchauffer et enfiler nos chaussures complètement solidifiées par la glace. Nous savions qu’à cette altitude, la température allait être basse. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons fait le choix de prendre une tente de 2 personnes pour 3, afin de conserver le plus de chaleur possible sous la toile.
Il a neigé toute la nuit. La neige fraîche compromet grandement nos chances d’atteindre le sommet. Nous tentons tout de même l’expérience, mais rapidement nous nous enfonçons jusqu’aux genoux. Parfois nous perdons totalement nos appuis en glissant sur des plaques de glace qui se trouvent sous l’épaisse couche de neige fraîchement tombée. Au bout de quelques heures, Salar se retourne vers moi et me signale qu’il y aurait peut-être un risque d’avalanche. La visibilité est mauvaise.
Nous prenons la décision de faire demi-tour. En montagne, seule la descente est obligatoire. Je suis frustré, mais d’un autre côté, je sais que s’il nous arrivait quelque chose sur le flanc de la montagne, nous serions livrés à nous-même, à plusieurs dizaines de kilomètres des possibles secours. Je me rassure en me disant que dans tous les cas, même si nous avions atteint le sommet, la vue aurait été obstruée par les chutes de neiges et les nuages.
La région frontalière de l’Iran a été stratégique durant la guerre qui a opposé les deux pays dans les années 1980. On y trouve encore des barbelés qui témoignent de cette période.
Les mines y sont aussi nombreuses et il faut savoir où mettre les pieds.
De retour à la civilisation je quitte Choman en taxi. Le moyen le plus simple pour se déplacer en Irak est de partager une voiture. On les trouve en se rendant dans des « taxi garaj » au centre ou aux abords des villes. De là, des chauffeurs attendent de les remplir avant de commencer leur course.
Dans l’attente de nouveaux clients, un groupe de chauffeurs jouent à tour de rôle à un jeu d’échec arrangé.
Sadiq, près du poêle à gaz, attend son tour pour jouer.
Finalement, un chauffeur qui livrait un colis pour un client me prend gratuitement, curieux d’échanger avec moi. Si j’ai économisé une dizaine d’euros pour un trajet de 2h, je me serai bien passé de cette économie. L’homme à mes côtés roulait comme un fou furieux entre les nids de poule. À notre arrivée, il m’a demandé très fier : « que penses-tu de ma conduite ? ». Soulagé de sortir de son engin de la mort je lui ai répondu que je la trouvais « rapide ».
Au Kurdistan, les contrôles routiers sont très fréquents. Je me fais régulièrement arrêter aux entrées et aux sorties des villes par les peshmergas (les combattants kurdes). La durée de l’interrogatoire est variable. Ils vérifient mon identité, les motivations de mon voyage, les photos que j’ai prises… Avec mes quelques mots de kurde et leurs quelques mots d’anglais, la communication est parfois difficile, mais on me laisse poursuivre librement mon chemin.
La ville de Duhok dans le nord du Kurdistan irakien depuis ma chambre d’hôtel. En 9 jours de voyage, j’ai passé seulement deux nuits à l’hôtel grâce à l’hospitalité sans borne des kurdes et la gentillesse d’amis d’amis installés dans la région.
Tout sourire, le patron d’un kebab me désigne du doigt son employé en s’exclamant « He’s Daesh! ». Des éclats de rire retentissent dans tout le restaurant devant mon incompréhension. Son employé est Mossouliote. Face à l’EI il a fui les combats et s’est réfugié au Kurdistan. Même si aujourd’hui les kurdes ne sont pas directement menacés par l’EI, la présence des djihadistes occupe tous les esprits.
Le thé est servi à longueur de journée. Tous les prétextes sont bons pour en boire.
Sur la route de Mossoul en direction de la ville d’Alqosh, une ville chrétienne.
Avec mon chauffeur, nous passons devant l’un des derniers checkpoints avant Mossoul tenus par les peshmergas. Leur présence constitue une ligne défensive d’un millier de kilomètres autour du Kurdistan irakien pour contrer l’expansion de l’EI. Sous le drapeau kurde, on aperçoit les portraits héroïques de peshmergas morts au combat.
Vue depuis le monastère de Rabban Hormizd à Alqosh. C’est une ville assyrienne connue pour être un foyer du christianisme oriental.
Le monastère a été fondé en VIIème siècle sur la pente rocheuse d’une montagne. Il est aujourd’hui ouvert à la visite mais personne ne l’occupe.
À l’exception d’un militaire irakien chrétien qui garde les lieux. En 2014, l’EI est arrivé à 2 km d’Alqosh provoquant l’exil d’une très grande majorité des habitants de la ville, craignant d’être pris pour cible. Quand je m’y trouvais, on pouvait entendre du haut de la montagne les bombardements très réguliers de la coalition sur Mossoul, au loin dans la plaine, à une quarantaine de kilomètres de là.
La campagne blanchie par la neige aux alentours d’Amedi, dans le nord du Kurdistan irakien.
Devant le drapeau du Kurdistan. Le rouge représente la détermination et la combattivité des kurdes, le blanc symbolise la paix et la prospérité et le vert rappelle les montagnes et les plaines du Kurdistan. Au centre, le soleil aux 21 rayons désigne le nouvel an kurde qui a lieu le 21 mars.
La cuisine kurde se compose principalement de viandes grillées au charbon de bois accompagnées de riz et de légumes.
À Lalech, un des lieux saints du yézidisme dans le nord du Kurdistan irakien. C’est l’une des plus anciennes religions monothéistes au monde dont les fidèles ont récemment été massacrés par les djihadistes pour être des « adorateurs du diable ».
C’est à Lalech que se trouve le temple sacré des Yézidis. Chaque fidèle doit s’y rendre en pèlerinage au moins une fois dans sa vie. On y marche pieds nus pour être plus proche de la nature. Les fidèles embrassent la porte avant de l’enjamber et de pénétrer dans le temple.
Les édifices religieux yézidis ont des toits coniques qui symbolisent le voyage de la terre vers le ciel.
Lors de leur visite au temple, les pèlerins effectuent une quantité de rituels, comme celui de faire un nœud aux tissus colorés qui ornent les piliers du temple. En nouant un morceau de tissu ils font un vœu. Ensuite ils en dénouent un autre pour que le vœu d’un précédent fidèle soit exaucé.
Leur culte et leurs rituels se transmettent oralement et sans prophète. C’est pourquoi on ne devient pas yézidi, on naît yézidi.
On estime le nombre de yézidis au Kurdistan irakien entre 100 000 et 600 000. Mais il est difficile de les recenser puisqu’ils constituent une communauté très dispersée. Quelques yézidis vivent au temple à l’année. Comme cet homme qui porte le khefieh traditionnel.
Ils prient cinq fois par jour et la prière du matin est faîte en direction du soleil.
Pour les yézidis, le feu est l’incarnation du soleil sur terre. Le soleil est sacré et ils le vénèrent en allumant tous les soirs des mèches avec de l’huile devant chaque maison.
Très hospitaliers, je suis invité à déjeuner par mes hôtes. Nous mangeons assis à même le sol sur une natte dans la pièce commune, tandis que les femmes mangent à la cuisine.
Tous les plats sont apportés en même temps qu’ils soient chauds ou froids et sont servis par les jeunes garçons de la maison. Alors que nous étions très bavards, le repas se déroule dans le silence. À plusieurs reprises, on met devant moi les meilleurs morceaux de viande ainsi que de la cervelle.
Les conversations reprennent une fois le thé servi à la fin du repas.
Duhok au coucher du soleil. La ville est ceinturée de montagnes et offre de belles possibilités de randonnées.
Boulangerie à Erbil. Des hommes font la queue pour acheter leur pain. Il est circulaire et plat et constitue l’aliment de base au Kurdistan. On le consomme à tous les repas et on l’utilise pour prélever la nourriture des plats.
Pour mes dernières heures à Erbil, je décide de passer toute la soirée dans une « tchaïkhane », un salon de thé populaire. À la télévision, les chaînes diffusent en boucle les dernières nouvelles du front à Mossoul.
Curieux d’échanger, nous trouvons avec mes voisins un dictionnaire anglais – kurde qui nous permet de communiquer.
Mes deux interlocuteurs sont chanteurs d’opéra. Avant la guerre ils pouvaient se produire à l’étranger, aujourd’hui c’est plus difficile.
Les clients vont et viennent et je me fais assez rapidement accepter par ces derniers, bien que ma présence à cette heure tardive soit insolite. Je passe la soirée à boire du thé. En partant, le patron avec qui j’ai sympathisé refuse mon argent.
Aéroport international d’Erbil. Retour à Paris après une semaine de rencontres, de photos et d’échanges.
À Paris à mon départ, la police aux frontières m’avait posé de nombreuses questions sur les raisons de mon voyage en Irak. Mais il n’est pas difficile de visiter le Kurdistan. Pour un séjour inférieur à 30 jours, un visa tourisme est délivré à l’arrivée sur le territoire.
J’ai au cours de ma visite pu expérimenter une nouvelle fois l’incroyable hospitalité et générosité propre au Moyen-Orient (voir mon voyage en Iran dans 4L, Un tour du monde du microcrédit). Malgré la tragédie de la guerre et la folie meurtrière de l’EI aux portes du Kurdistan irakien, j’ai rencontré un peuple kurde fier, serein et curieux qui m’a apporté une vision nouvelle sur le pays des deux fleuves.