EXPÉDITION PÔLE NOIR
C’est avec beaucoup de regrets que je vous annonce que mon expédition en solitaire vers le pôle Nord n’aura pas lieu cette année.
La logistique pour une expédition vers le pôle Nord est complexe. Depuis 2002, elle dépend de la construction d’une base temporaire sur la banquise capable de recevoir des petits avions. La construction a débuté comme prévu à la fin du mois de mars, mais contrairement aux précédentes années, les logisticiens ont fait face à des conditions climatiques féroces et une glace très instable.
Il y a quelques jours, la glace de la piste d’atterrissage a craqué et s’est ouverte sur 12 mètres. Là où est établi le camp, il n’y a aujourd’hui plus de glace d’une épaisseur satisfaisante pour reprendre la construction à 0. La décision a été prise d’annuler la saison.
La pandémie et le contexte géopolitique m’ont empêché à plusieurs reprises de prendre le départ de cette expédition. Mais c’est la première fois que je suis stoppé dans mon élan avec ma pulka chargée, ma nourriture empaquetée et mes thermos remplis d’eau chaude pour ne pas avoir à faire fondre de la neige à l’arrivée sur la banquise…
La déception est grande. Une telle expédition demande une longue préparation et de lourds investissements. Sans parler du tournage que je devais faire pour la télévision, c’est un gâchis de temps, d’énergie, d’argent et d’émissions de CO2.
Mon expédition n’a jamais aussi bien porté son nom. J’avais choisi de l’appeler « Expédition Pôle Noir » en lien avec les dépôts de noir de carbone que j’allais mesurer sur la banquise et la disparition de la glace de l’océan Arctique — directement liée aux conséquences du réchauffement climatique.
Je tenais à remercier toutes celles et ceux qui m’ont aidé dans la préparation de cette expédition et mes partenaires pour leur soutien. Je range aujourd’hui mes affaires le cœur un peu serré, en espérant que ce rendez-vous manqué avec le pôle Nord n’est que remis à plus tard. Je reviens vite avec de nouvelles aventures.
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L’océan Arctique se réchauffe 4 fois plus vite que le reste de la Terre et les scientifiques estiment qu’il sera libre de glace l’été d’ici 2050. L’Arctique est en train de changer de couleur. La banquise claire laisse place à un océan sombre. Hier il était blanc, demain il sera noir.
La disparition de la banquise est une catastrophe pour la biodiversité, les écosystèmes et l’équilibre climatique mondial puisqu’en perdant son pouvoir réfléchissant elle participe au réchauffement global de la planète. La fonte est accélérée par la multiplication de dépôts de « noir de carbone ».
En avril 2024, je vais tenter de rejoindre le pôle Nord géographique en solitaire en partant de la base dérivante de Barneo. Au total ce sont environ 200 kilomètres pendant 3 semaines qu’il me faudra parcourir sur un chaos de glace. Entre crêtes de compression, bras d’eau de mer libre et plaques de banquise fine. Sans compter la dérive avec laquelle il faudra composer et qui pourra m’éloigner de mon objectif.
Distance
~200 km
Durée
+/- 21 jours
Prélèvements
Quotidien
Température
-20°C à -45°C
Effort
8 à 12h/jour
Poids traîneau
100 kg
Départ le 10 avril 2024
Un triple objectif
Vivre une aventure hors norme dans un des milieux les plus inhospitaliers de la planète.
Prélever des échantillons de neige à intervalle régulier afin de mesurer la quantité de « noir de carbone » et identifier d’où provient la pollution. Ils seront analysés par le Climate Adaptation Science Center de l’Université de Colorado Boulder.
Faire de la sensibilisation par l’émerveillement et de la vulgarisation de la science dans le milieu scolaire, sur les réseaux sociaux, dans les médias et avec un documentaire pour la télévision.
Suivre l’expédition sur :
Qu’est-ce que le noir de carbone ?
Ce sont des microparticules qui sont le résultat de la combustion incomplète des énergies fossiles et de la biomasse (moteurs diesel et pétrole, usines à charbon, feux de forêt…). Ces fines particules se déposent sur la banquise et leur couleur noire, en absorbant le rayonnement solaire, accélère la fonte. La banquise arctique étant fragile et difficile d’accès, les scientifiques manquent de données in situ.
Ulyana Horodyskyj Peña
Responsable de la communication scientifique pour le Climate Adaptation Science Center de l’Université de Colorado Boulder.
« Matthieu se rend là où personne ne va. La banquise arctique est certes observée par des satellites, mais nous avons aussi besoin de mesures in situ pour comprendre les facteurs qui catalysent la fonte de la cryosphère arctique. Évaluer la concentration de noir de carbone dans la neige recouvrant la banquise nous aide à modéliser sa fonte et à mesurer la pollution de l’atmosphère. »