LA VJOSA EN PACKRAFT

Dernier fleuve sauvage d’Europe

En Europe, tous les cours d’eau sont aujourd’hui exploités : centrales hydroélectriques, barrages, aménagements des berges, détournement du flux… Seulement un fleuve est resté à l’état sauvage. Il s’appelle la Vjosa. Il prend sa source en Grèce, coule à travers toute l’Albanie et se jette dans la mer Méditerranée.

En mars 2023, grâce au travail acharné de plusieurs ONG locales et internationales, ainsi que de la marque Patagonia, la Vjosa a obtenu le statut de parc national, protégeant ainsi la vallée et sa biodiversité.

Avec Ingrid, spécialiste du monde sauvage et de la biodiversité, nous sommes partis en packraft pour descendre le fleuve de sa source à son embouchure. 300 kilomètres sur nos petites embarcations gonflables pour vivre une aventure en pleine nature, au gré des rapides et du courant.

Le matériel pour l’expédition. Nous allons à la fois devoir marcher, naviguer et camper. Tout notre équipement doit être léger et gardé au sec dans des sacs étanches. © Christophe Bouquet

Départ de Paris. Pour cette aventure, nous avons fait le choix de rejoindre le fleuve sans prendre l’avion. Nous gagnerons le sud de l’Italie en train, puis nous prendrons un ferry pour la Grèce et enfin un bus pour atteindre la source de la Vjosa.

Bienvenue au lac Techniti Limni Aoou, en Épire en Grèce, à une vingtaine de kilomètres au Nord de la ville de Metsovo. C’est une réserve d’eau artificielle en amont des sources de la Vjosa.

Nous trouvons la source en pleine forêt à 1350 mètres d’altitude. Sans surprise, le fleuve n’est pas navigable en l’état. Avec nos sacs de 25 kg sur le dos, la marche est lente et il nous faut nous armer de patience avant d’espérer pouvoir mettre les packrafts à l’eau.

Sur la partie grecque de notre aventure, le fleuve se nomme Aoos. Un panneau témoigne de l’importante campagne de lobbying pour protéger le fleuve.

Après une vingtaine de kilomètres sur les sentiers, nous atteignons le petit village de Vovousa. Ici, le fleuve est plus consistant, mais le niveau reste relativement bas.

C’est là que nous faisons le choix de tenter de naviguer. Le passage de la randonnée à la navigation nécessite de tout déballer pour gonfler nos packrafts et enfiler une combinaison étanche.

Une longe dans la main, nous descendons le lit de la rivière à pied. Nous ne naviguons pas encore vraiment, mais cela nous soulage de faire flotter notre chargement, plutôt que de le porter sur notre dos.

Le fleuve est encombré d’une quantité immense de rochers. Certains nous barrent la route, d’autres sont à fleur d’eau et le packraft s’immobilise instantanément à leur contact. Impossible de manœuvrer dans ces conditions, il nous faut marcher et tirer nos embarcations.

La rivière se faufile dans un petit canyon. En se rétrécissant, le débit de l’eau accélère et nous devons procéder lentement en accompagnant les packrafts dans le courant.

Campement sur les bords du fleuve. Nous transportons avec nous tout ce dont nous avons besoin pour l’expédition : tente, tapis de sol, sac de couchage, réchaud… Cette première partie de l’aventure est assez isolée, nous évoluons en autonomie alimentaire.

De tout petits cours d’eau viennent alimenter l’Aoos et forment parfois de belles cascades.

Sur certaines sections, le fleuve devient véritablement navigable. Nous profitons de ces moments de navigation paisible en sachant pertinemment que ce qui nous attend en aval sera assurément plus sportif.

Nous suivons les méandres du fleuve. Il devient plus puissant et la navigation plus engagée.

Nous ne comptons plus les rapides qui manquent de nous faire chavirer et les rochers que nous devons contourner.

Le paysage sublime nous fait penser aux grands espaces canadiens. L’Aoos coule au cœur d’une zone forestière et montagneuse. Ici, la rivière est déserte, inaccessible. Aucune route, aucun sentier ne mène au lit de la rivière.

Le fleuve s’élargit et gagne en profondeur. Nous pagayons avec le bonheur de découvrir ce paysage silencieusement, presque sans effort.

Bivouac sur la grève. Seuls.

Nous pénétrons dans un canyon profond. Les parois de la montagne se rapprochent de plus en plus et nous cache le soleil. Le matin, à l’ombre, le froid humide nous saisit.

Le fleuve devient de plus en plus tortueux. Des pierres gigantesques barrent le passage. Certaines créent des siphons que nous n’avons pas envie de voir de trop près. Alors nous sommes contraints de faire un portage pour passer les packrafts au-delà des blocs de pierres.

Derrière l’obstacle, le paysage est à couper le souffle.

Une immense gorge s’ouvre. Nous nous sentons privilégiés d’être ici. Déjà plusieurs jours que nous naviguons sur la rivière et nous n’avons croisé personne depuis notre départ.

La rivière devient technique, avec de nombreux rapides de classe III-IV. Il nous faut régulièrement aller repérer à pied avant de nous engager. Tous les jours, nous parcourons une quinzaine de kilomètres.

Le fleuve nous réserve son lot de surprise avec des pierres, des rapides, des branches… C’est sauvage !

Après 5 jours isolés sur la partie supérieure du fleuve, avec peu de possibilités pour sortir des canyons, nous retrouvons la civilisation avec un peu de soulagement.

Nous arrivons dans le petit village grec de Konitsa, connu pour son magnifique pont en pierre taillée, construit en 1871.

D’ici, l’Aoos s’élargit et le relief s’aplatit. C’est extraordinaire de voir le fleuve se transformer et la géographie changer au rythme de l’eau. 

L’Albanie ne faisant pas partie de l’espace Schengen, nous devons quitter le fleuve pour ne pas franchir la frontière illégalement. Nous débarquons en plein maquis et nous mettrons de nombreuses heures à nous sortir d’une végétation touffue et pleine de ronces.

Le poste-frontière est à quelques kilomètres de marche. Nous le franchissons à pied sous les yeux étonnés des gardes-frontière.

Albanie nous voilà ! Après 80 kilomètres sur l’Aoos, nous voici désormais sur la partie albanaise du fleuve qui s’appelle ici la Vjosa.

Salutations à la gardienne d’un troupeau de brebis.

La Vjosa coule désormais dans une campagne plus peuplée. Sur ses bords nous trouvons des pêcheurs, des bergers ainsi que des vacanciers qui profitent de la douceur de l’eau pour se rafraichir. 

Nous traversons la ville de Përmet, l’une des villes les plus importantes sur notre parcours. C’est l’occasion de faire le plein de nourriture et de nous accorder une petite pause dans un vrai lit.

Depuis nos packrafts nous progressons en silence au fil de l’eau. Cette immersion, nous offre de belles rencontres avec de nombreux animaux : grenouilles, hérons cendrés, cigognes, renards et chamois.

Nous passons sous le regard de vacanciers bien installés sur des chaises pliantes. Interloqués par nos embarcations, ils nous font des grands signes et nous proposent de les rejoindre.

Sourires d’une équipe heureuse.

Bienvenue au paradis.

Nous nous arrêtons avant la tombée de la nuit pour enfiler des vêtements secs et monter le camp.

Depuis que nous sommes en Albanie, les berges sont plus dégagées.

Camping 5 étoiles.

Les rapides et les rochers ont laissé leur place à un fleuve large et calme. Fini de se laisser porter par le courant, il nous faut pagayer et encore pagayer !

La pause déjeuner est l’occasion de piquer un petit somme pour mieux repartir.

Derniers coups de pagaie avant de camper.

Lumières du soir sur les bords du fleuve.

À mesure que nous nous rapprochons de l’embouchure de la Vjosa, nous rencontrons de plus en plus de pêcheurs et de carrelets. L’eau du fleuve se mélange à l’eau de mer et les poissons sont plus nombreux.

Et soudain… la mer Méditerranée !

Arrivée après 270 km et 12 jours à pagayer sur la Vjosa, de la source à la mer. Mission accomplie !

La Vjosa est un parc naturel depuis peu. Cela signifie que le fleuve restera sauvage, que son cours ne sera pas détourné et qu’il ne connaîtra aucun aménagement comme des barrages ou des stations hydroélectriques.

Avec cette aventure, j’ai voulu mettre en lumière un fleuve méconnu et montrer qu’il n’y avait pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour s’immerger en pleine nature.

Disposant de plusieurs semaines devant nous, le choix d’une mobilité douce (aller et retour) était évident. Il nous aura fallu 14h de train pour rejoindre Brindisi depuis Paris et une traversée de nuit en ferry pour gagner Igoumenitsa en Grèce. Ce choix était malheureusement deux fois plus cher que l’avion, mais 20 fois moins émetteur en émission de CO2.

Merci à mes partenaires Jaws pour les packrafts, Patagonia pour les vêtements, Lyophilisé & Co pour le matériel de camping et Garmin pour la sécurité.

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