L’ARGENTINE EN STOP
De la Terre de Feu à Buenos Aires
Je n’ai pas l’habitude de voyager sac au dos. Habituellement j’ai un vélo, un kayak ou une voiture avec moi. Cette fois je suis seul, dépendant. Mais j’ai du temps et je n’ai rien prévu. Toutes les conditions sont réunies pour m’essayer à l’auto-stop. À Ushuaïa, au bout du continent sud-américain je me lance alors dans la remontée de l’Argentine jusqu’à sa capitale. Au gré des conducteurs, au fil de la « Ruta 3 », le long de l’océan Atlantique.
Je m’apprête à débarquer à Ushuaïa depuis la ville chilienne de Puerto Williams où j’ai passé une semaine (voir aventure « Patagonie »). La traversée du canal Beagle se fait sur un petit bateau. J’ai longtemps rêvé d’Ushuaïa mais jamais n’aurais-je imaginé arriver dans cette ville mythique par son front sud. Ushuaïa, le bout du monde, la ville située au bout de la « Panamericana »…
Avec ses montagnes qui plongent dans la mer, c’est véritablement la fin, ou le début de la Cordillère des Andes.
Très touristique à cette saison, je suis déçu par cette ville qui comporte finalement peu d’intérêt. Les hordes de touristes affluent pour faire une photo devant le mythique panneau « El Fin del Mundo » et la ville ne tourne qu’autour de l’industrie du tourisme. D’autant plus qu’Ushuaïa est une importante porte d’accès vers l’Antarctique que l’on peut rejoindre en voilier ou en bateau de croisière.
Il y a 4 987 kilomètres de Ushuaïa à La Quiaca, ville située tout au nord du pays sur la frontière bolivienne. Pour ma part, j’ai « seulement » un peu plus de 3 000 kilomètres à parcourir pour rejoindre la capitale Argentine depuis la Terre de Feu.
Au bord de la route, il faut s’armer de patience. La région est déserte, ce sera ma plus longue attente (2h30).
Au poste frontière de San Sebastian, je trouve refuge dans un petit local entre l’Argentine et le Chili. Certes c’est très bruyant avec le passage incessant des camions mais il y fait chaud. Je suis à l’abri du vent et il y a l’eau et l’électricité.
Près de Porvenir au Chili, je réalise un vieux rêve. Voir des manchots royaux ! Le manchot royal est la deuxième plus grande espèce de manchots après le manchot empereur. Les adultes mesurent environ 90 cm et pèsent habituellement entre 12 et 14 kg. Ils muent périodiquement pour conserver l’étanchéité de leur plumage (comme ici à droite sur la photo). La mue intervient avant la saison des amours, permettant aux manchots de revêtir un plumage attrayant pour les parades.
Les manchots royaux se rassemblent en colonies. On en trouve sur les côtes des îles et archipels sub-antarctiques comme les îles Kerguelen et les îles Crozet. On peut également en observer aux îles Malouines, en Georgie du Sud (Antarctique) en Nouvelle-Zélande et au Chili.
Ils ne se nourrissent qu’en mer. Leur forme hydrodynamique ainsi que leur plumage assurant imperméabilisation et isolation thermique, leur permettent de plonger à des profondeurs de 70 à 200 m pour se nourrir de poissons.
Au beau milieu de la pampa, à la sortie du parc aux manchots royaux, un homme accepte de me prendre en stop après une courte attente de 15 minutes sur le bord de la piste. Ce qui devait être seulement une dépose de 10 minutes, se révéla être un covoiturage de plus de 8 heures. Santiago est un « gaucho » argentin. Il possède des milliers d’hectares de terres sur lesquelles paissent plus de 4 000 moutons. Avec son cheval et ses cinq chiens ils travaille la majeure partie du temps seul pour les regrouper. Il peut partir jusqu’à trois jours parcourir la pampa au milieu de ses bêtes.
Santiago est nouveau dans la région. Il a déménagé de la région de Santiago de Chile pour s’installer ici il y a quatre ans. Son estancia est immense. On y trouve de nombreux bâtiments, comme des écuries, un chenil, des remises ainsi que des granges pour effectuer la tonte des moutons une fois par an.
La Terre de Feu est située à la confluence des océans Atlantique à l’est et Pacifique à l’ouest. C’est un archipel séparé de la Patagonie par le détroit de Magellan. Prendre le ferry est l’unique moyen de rejoindre le continent. Les courants et les vents dans le détroit de Magellan sont si puissants, que nous sommes restés bloqués 5 heures sur la grève.
C’est à cette intersection que nos chemins se sont croisés avec Santiago. Il se dirigeait vers Punta Arenas, capitale de la province la plus australe du Chili tandis que je remontais vers le nord, vers Rio Gallegos. Loquace j’aurais passé de longues heures à échanger avec lui. Du Chili, de sa nouvelle vie en Patagonie, de sa femme qu’il rejoignait pour le week-end, de son métier de « gaucho » qui me fascine, de la France, de mon voyage… Nous nous sommes échangés nos coordonnées. Devant l’intérêt que je manifestais à l’égard de sa vie de « gaucho », il m’a lancé avant que je referme la porte de son 4×4 « quand tu reviendras, on partira à cheval, je te montrerai tout ».
La Patagonie est balayée par des vents très violents. C’est pour cette raison que les marins ont surnommé les côtes et l’Atlantique Sud « les quarantièmes rugissants » et « les cinquantièmes hurlants ». Sur le bord de la route nourrissant l’espoir qu’une voiture s’arrête, les bourrasques plaquent mes cheveux en arrière, le vent gonfle la capuche de mon coupe-vent, tandis que la toile noire claque frénétiquement.
À la sortie de Rio Gallegos dans le sud de l’Argentine, je monte dans une vieille Peugeot conduite par un éleveur de chevaux. À l’arrière, ses trois filles. Nous nous dirigeons vers Comandante Luis Piedrabuena, à 220 kilomètres d’ici. La famille s’y rend pour passer le week-end chez des amis.
Le bitume en Argentine est plutôt bon et les limitations de vitesse inexistantes. Pourtant, nous mettons plus de 5 heures pour faire la route. La voiture est déglinguée, ne dépassant pas les 60 km/h.
Mais nous sommes surtout très lents parce-que nous nous arrêtons tout le temps. À chaque fois que nous croisons des lamas appelés « guanacos », le père de famille allume un pétard et le jète en direction du troupeau pour les faire détaler. Il m’explique qu’il y a malheureusement trop d’accidents de la route causés par leur présence… À côté de la boîte de vitesse, il garde les pétards à portée de main.
Inévitablement, l’explosion provoque de grands éclats de rire sur la banquette arrière.
Faire du stop en restant le pouce en l’air sur le bord de la route est à la fois inefficace et frustrant. À l’inverse on gagne un temps considérable en demandant directement aux conducteurs dans les stations-services. Sur la « Ruta 3 », les voitures vont soit vers le sud, soit vers le nord. En moyenne, j’attends une petite demi-heure avant de trouver un siège. Les raisons des refus sont variées et je les prends invariablement avec le sourire. Parfois, mes interlocuteurs n’ont pas de place, ne vont pas assez loin, pas dans la même direction que moi ou tout simplement n’ont pas envie de faire monter un inconnu dans leur voiture. Les stations-services YPF maculent le réseau routier argentin. Elles sont de petites bases rassurantes dans l’immensité de la pampa. On y trouve absolument tout ce dont on a besoin, c’est donc un arrêt indispensable avant d’avaler des centaines de kilomètres.
Les routes en Argentine sont à deux voies. Elles sont incroyablement rectilignes ce qui rend la conduite à la fois difficile et monotone. Il faut parfois parcourir plusieurs centaines de kilomètres de pampa vierge avant de rencontrer une ville.
À une station-service YPF, Luis, un argentin me propose de monter dans son camion pour m’avancer. Il m’a vu le matin même avec mon carton « Buenos Aires » dans une autre station plus au sud. Sans hésiter je saute sur la place passager. Toutes les semaines, Luis fait la route Buenos Aires – Rio Grande. Puis remonte à Buenos Aires. Un périple de 8 000 kilomètres aller et retour ! À l’arrière de son camion il transporte des voitures. Parfois accidentées, parfois neuves ou d’occasion, il les livrent à des concessionnaires sur la route.
Même si il m’avoue volontiers que son métier est difficile avec parfois de la pression de son employeur, il apprécie la simplicité de son existence. Une couchette, du mate (la boisson typique argentine), du tabac et des arrêts dans les stations-services pour dormir, s’alimenter et se laver. En me montrant la pampa, il me dit « et pour mes besoins, j’ai tout ça pour moi ! ». Il connaît la route presque par cœur et sait même où est-ce que l’on capte le réseau pour téléphoner. Pendant deux jours, je partage son quotidien. Nous nous arrêtons pour manger dans les stations-services. Nous partageons des souvenirs d’Europe. Luis a été camionneur en Espagne pendant de longues années. Il y a laissé son fils avec sa mère, de qui il s’est séparé.
Vers 1h30 du matin, Luis arrête son camion dans un village. Il me propose de dormir dans la Mercedes neuve qu’il transporte. Fatigué, j’accepte instantanément, déplie mon sac de couchage et baisse le siège en cuir de la berline en position presque horizontale.
En 5 jours je suis monté dans une quinzaine de voitures et de camions pour relier Ushuaïa à Buenos Aires, en suivant la Route 3 du pays, soit 3 200 kilomètres. Le stop est un moyen formidable d’aller au contact des gens. La grande majorité du temps, les conducteurs sont bavards et curieux d’échanger. J’ai fait d’excellentes rencontres et je recommencerai à voyager de cette façon. Toutefois, la dépendance et la sollicitation quotidienne peuvent être pesante à la longue. À mes yeux, rien ne vaut la liberté que procure son propre moyen de transport.
À Retiro, un quartier situé au nord de Buenos Aires. À pied, je découvre la capitale argentine.
La Plaza de Mayo, centre névralgique de la ville de Buenos Aires. Elle héberge également la Casa Rosada, le siège du pouvoir exécutif argentin.
L’Avenida Corrientes. La ville grouille d’activité la journée, les piétons déambulent dans les artères jusqu’à la tombée du jour. Au fond, l’obélisque de Buenos Aires, érigé pour le quatrième centenaire de la première fondation de la ville.
La chaleur à Buenos Aires en janvier est écrasante, le mercure grimpe à 35°C et les climatiseurs fonctionnent à plein régime dans les appartements.
Quartier défavorisé de Buenos Aires, la Boca abrite de nombreux artistes et danseurs de tango. Les façades colorées des maisons en font un endroit atypique et un passage obligé pour le visiteur.
Un court passage en Uruguay avant mon retour en France.
L’Uruguay est à un jet de pierre de Buenos Aires. Après avoir arpenté la capitale argentine en long et en large, et disposant d’un peu de temps avant de prendre mon avion pour Paris, je saute dans un ferry pour traverser le Rio de La Plata et rejoindre la ville uruguayenne de Colonia del Sacramento.
Fondée par les Portugais en 1680, Colonia est la plus vieille ville de l’Uruguay.
Vue du haut du phare de Colonia. Buenos Aires est de l’autre côté, à 50 kilomètres.
Les rues pavées de la ville coloniale sont bordées de platanes. Dans l’ombre qu’ils procurent, un homme joue de la guitare à la terrasse d’un restaurant. Il fait frais, il fait bon, un sentiment de quiétude m’envahit.
La ville historique est construite sur le front de mer, laissant place à de petites plages où les habitants et visiteurs profitent des derniers rayons de soleil. Au loin, un ferry arrivant de Buenos Aires.
Le soir, un coucher de soleil spectaculaire. Au moment où le soleil disparut, engloutit par la mer, la foule présente applaudit la scène. J’ai appris plus tard que c’est en fait une coutume uruguayenne d’applaudir la fin d’un coucher de soleil. Heureux spectacle pour mes derniers instants en Amérique du Sud, après 5 semaines passées sur le continent.
Dépose à l’aéroport international de Buenos Aires. Je termine mon voyage comme je l’ai commencé, en stop. Certes je connaissais le conducteur… Mon petit frère Adrien et son ami Grégoire font actuellement un tour du monde d’un an en multipliant les moyens de locomotion. D’abord en stop jusqu’à Moscou, puis en transsibérien jusqu’en Mongolie où ils ont traversé les steppes en moto. Ils ont ensuite voyagé en Chine et en Inde, en bus et en train. Aujourd’hui, ils sont en Amérique du Sud au volant d’un Kombi Volkswagen. Leur aventure est ponctuée de rencontres avec des structures sociales et ONG afin de leur réaliser des vidéos de communication clé en main (www.facebook.com/catourneautourdumonde).