OBJECTIF PÔLE SUD
Une première Française et un record du monde en Antarctique
À l’origine il y a un rêve. Celui de parcourir une partie du Continent Blanc, terre d’exploration et de découverte. Terrain de jeu des explorateurs polaires comme Amundsen, Scott, Shackleton ou encore Charcot et Victor… Depuis ma jeunesse je suis fasciné par le courage et l’abnégation de ces héros qui ont fait l’histoire de l’Antarctique. Un peu plus de 100 ans après la découverte du pôle Sud par le norvégien Roald Amundsen, j’ai choisi à mon tour de vivre l’aventure polaire. Mon idée est simple : rallier le pôle Sud géographique depuis la côte du continent Antarctique. Un périple de 1150 kilomètres, soit la distance d’un Ajaccio – Calais.
Je m’engage seul dans cette expédition. Je veux connaître la solitude, la vraie. Celle qui ne vous lâche pas et vous met face à vos pires doutes et vos plus grandes inquiétudes. Mais celle aussi qui révèle à soi-même et permet de se découvrir quelque chose de nouveau, d’inconnu et qu’on ne soupçonnait pas. Je ne suis pas d’une nature solitaire, seulement l’expérience de la solitude m’intéresse. Elle est propice à l’introspection et à la contemplation.
Je pars sans assistance. Dans une époque où la technique permet de se retrouver à l’autre bout de la planète en 12 heures d’avion, j’ai envie de faire l’expérience de la lenteur, de nouer une nouvelle relation avec l’espace et le temps. Je pars alors à skis, sans voile de traction, sans chiens de traîneau et sans véhicule à moteur. Je ne compte que sur la force de mes jambes et mon envie d’aller au bout. Je ne suis pas de ceux qui partent pour fuir quelque chose, dans mes aventures j’aime autant les départs que les retours. Mais dans un monde de l’instantanéité et de la gratification immédiate, j’ai envie de ralentir, de faire un pas de côté. Alors je pars en autonomie totale, pour ne compter que sur moi. Aucune flore, aucune faune sur le parcours. Le cœur de l’Antarctique est un congélateur permanent où aucune espèce animale ni végétale ne peut survivre. J’emporte dans mon traîneau 50 jours de nourriture, de l’essence pour faire fondre la neige et obtenir de l’eau, du matériel pour camper, des vêtements techniques pour résister à des températures de -50°C… Aucun ravitaillement de nourriture n’est prévu sur la route et il me faut tirer toutes mes provisions à ma seule force, soit 115 kg, plus d’une fois et demi mon propre poids. La tâche est de taille et pour preuve, seule une petite vingtaine d’explorateurs au monde est déjà parvenue à bout d’une telle expédition.
J’entame ma longue marche le 24 novembre 2018. Un petit avion à hélices m’a déposé sur la plateforme glaciaire de Ronne, au bord du continent Antarctique. J’en ai rêvé, j’y suis ! Tous les matins j’ouvre la fermeture de ma tente et découvre de quoi sera faite ma journée. Est-ce qu’il y aura du vent, du brouillard ? Ou au contraire du soleil mêlé à un froid mordant ? La surface est-elle couverte d’un fin manteau neigeux ou laisse-t-elle place à d’imposants sastrugi, gros monticules de neige sculptés par le vent ? Les conditions des premières semaines de l’expédition sont dantesques. Il fait chaud cette année en Antarctique. Si l’on pourrait penser que c’est une aubaine pour moi, il n’en est rien ! La hausse du mercure a précipité beaucoup de neige sur le continent et ma tente se retrouve ensevelie sous la neige fraîche. Je m’épuise à tirer mon traîneau dans 30 ou 40 centimètres de neige. Chargé à bloc, le traîneau et mes skis s’enfoncent dans la poudreuse. Je piétine, je trébuche, je tombe… Mais le pire c’est de se retrouver dans le whiteout et de ne pas savoir où je vais. Ce phénomène optique atmosphérique fait se confondre la neige et le ciel dans une lueur blanche et annule tout contraste et sens de profondeur. Dans ces moments je perds tous mes repères. C’est épuisant de marcher à l’aveugle, sans pouvoir se fixer un cap au loin. Mon regard est perdu dans une immensité blanche, mes yeux sont rivés sur ma boussole. J’ai l’impression d’être dans une balle de ping-pong ou d’avancer avec un taie d’oreiller blanche sur la tête. Alors je me concentre sur ce que je peux maîtriser : ma respiration, la glisse de mes skis ainsi que la gestion de mon flux de pensée. Pour ne pas craquer, je convoque des souvenirs pour les revisiter, je me projette dans l’avenir en imaginant ce que je ferai à mon retour… J’essaye de chasser les mauvaises pensées et de me convaincre que cette météo capricieuse ne durera qu’un temps, que c’est un mauvais moment à passer. Quand tous les éléments sont contre moi, je m’efforce de remettre mon rêve de pôle Sud à la surface. Surtout ne pas succomber à la tentation de l’abandon.
Les jours défilent et la qualité de la neige ne s’améliore pas. Je progresse à 1,5 km/h. À ce rythme, je n’ai pas assez de nourriture pour terminer l’expédition. Alors pour tenir, je décide de me fixer une routine très précise. Je skie par blocs d’une heure. Au terme de chaque session je m’arrête 5 minutes pour manger et boire. Je skie jusqu’à 12 heures par jour. Jamais n’aurais-je imaginé m’imposer des journées aussi intenses. Mais il faut avancer, mes réserves de nourriture s’amenuisent et il faut arriver au pôle Sud avant la fin du mois de janvier, date à laquelle le continent se retrouvera progressivement enveloppé dans la nuit polaire. Cette routine, quasiment militaire, m’aide à mettre un ski devant l’autre. La montre me guide, je me repose sur elle. C’est elle qui dicte mes journées, qui détermine le moment où je fais mes pauses et l’heure à laquelle je déchausse mes skis. Sans elle et sans cette attraction un peu irrationnelle pour le pôle, je ne serai jamais sorti de ma tente. Une telle expédition s’inscrit dans la durée. Penser à l’arrivée dès le premier jour est totalement décourageant. Cela paraît insurmontable de se dire qu’il y a presque 2 mois de solitude et d’effort devant soi. Pour y faire face, c’est indispensable de déconstruire l’expédition en mini-objectifs atteignables : la prochaine pause, le prochain podcast, le dîner… Il me faut prendre chaque jour comme ils viennent et accepter d’être malmené par les mauvaises conditions.
Au fur et à mesure des semaines, je commence à me sentir de mieux en mieux dans ce vaste désert. Comme si l’Antarctique me testait et jouait avec moi. Comme si elle se méritait et s’apprivoisait. Puis je suis entré en totale communion avec ce continent. Je suis tous les jours plus efficace pour survivre dans cet environnement si hostile, pour lire la glace, pour monter ma tente dans un vent fort… C’est comme si l’Antarctique m’avait accepté et ouvert la voie jusqu’au pôle. Après plus de 7 semaines de solitude et d’efforts, j’aperçois des petits points noirs à l’horizon. Je hurle « JE VOIS LE PÔLE » et je m’écroule sur mon traîneau. Des larmes de joie et de fatigue gèlent sur mes joues. Pour la première fois je prends la mesure de ce que je suis sur le point d’accomplir. Tant d’efforts, de rigueur et de persévérance pour arriver jusqu’ici… Alors je ralentis la cadence sur les derniers kilomètres, j’essaye de profiter et de m’imprégner le plus possible de l’instant. La base scientifique Amundsen-Scott grossit à vue d’œil. J’y suis presque… Je touche la sphère métallique matérialisant le pôle Sud le 13 janvier à 12h15. Après 51 jours, je deviens le premier Français et le plus jeune au monde à réussir une telle expédition. En arrivant, je pense à Jean-Louis Étienne, le parrain de mon expédition, et à ses mots : « on ne repousse pas ses limites, on les découvre ». Un mélange de joie, de fierté m’envahit, je suis comme sur un nuage. Je ressens déjà une pointe de nostalgie, l’Antarctique m’a marqué et j’y laisse une part de moi. Je reviendrai.
Retrouvez le livre qui relate cette aventure : Le Continent blanc, 51 jours seul en Antarctique, publié chez Robert Laffont. Et toute l’expédition sur le site Objectif Pôle Sud