PASSAGE DU NORD-OUEST À SKIS
400 km sur la banquise, de Cambridge Bay à Gjoa Haven
Direction le mythique passage du Nord-Ouest ! 400 kilomètres d’expédition à skis et en autonomie sur la banquise, entre Cambridge Bay et Gjoa Haven.
Cet itinéraire est une route maritime au cœur de l’Arctique canadien qui relie l’océan Pacifique à l’océan Atlantique. Il a été ouvert pour la première fois en 1905 par l’explorateur Roald Amundsen. L’hiver, le passage est gelé et peuplé par les ours polaires et quelques communauté inuites.
Pour cette expédition, je fais équipe avec Anja Blacha, une aventurière et alpiniste allemande d’exception. Cela fait des années que nous souhaitons joindre nos forces pour une expédition polaire. Alors c’est décidé, nous nous retrouvons dans le grand Nord canadien en avril 2023.
Arrivée à Cambridge Bay au Nunavut. À 69° Nord nous sommes au cœur de l’Arctique.
C’est un petit village inuit de 1 800 habitants situé sur le passage du Nord-Ouest. En avril, la température moyenne est de -21°C.
Après une petite journée de préparation, nous quittons Cambridge Bay le 7 avril vers 17h, sous un grand soleil et par -25°C. Nous avons maintenant 400 kilomètres à parcourir sur la banquise, c’est parti !
À la sortie du village, une femme qui faisait du ski vient à notre rencontre. Attirée par notre cap plein Est et nos pulkas chargées, elle nous assaille de questions. Nous lui répondons que nous partons pour Gjoa Haven à skis. Elle n’en revient pas, mais elle trouve l’idée géniale !
Rapidement, nous nous immergeons dans le grand blanc. Une légère brise couvre la chaleur des rayons du soleil. Les quelques particules de glace dans le ciel créent un halo solaire.
Le début d’une expédition polaire est toujours un choc pour l’organisme. On quitte son confort tout chaud pour se retrouver dans un congélateur où l’on ne peut rien faire à mains nues.
Nous nous réhabituons doucement à nos petites routines d’expédition : skier, faire des pauses régulières et manger avec des énormes moufles, engoncés dans nos vestes en duvet. Le froid est mordant !
Notre première trace d’ours polaire ! C’est impressionnant d’imaginer la taille de cet animal : la longueur de son empreinte fait le double de ma main du poignet à l’index. Pour nous, l’ours est une menace. Nous sommes équipés d’un dispositif de prévention d’attaque (bombe à poivre, fumigènes, klaxon…) et comme c’est l’usage (et en tout dernier recours) d’un fusil de chasse. La nuit nous dormons avec la lampe frontale autour du cou pour sortir le plus rapidement possible si il venait nous rendre visite…
Les journées sur la banquise sont longues. Nous skions environ 11h par jour pour abattre une petite trentaine de kilomètres en fonction des conditions. Quand vient le soir, nous nous décrochons rapidement de nos pulkas et enlevons nos skis pour monter la tente. Nous y installons tout ce dont nous avons besoin pour la nuit : nourriture, réchaud, sac de couchage, tapis de sol, des vêtements… Monter la tente ne nous prend que quelques minutes.
Faire fondre de la neige et de la glace prend en revanche beaucoup plus de temps. Nous avons besoin de faire 6L d’eau toutes les 24h, ce qui prend facilement 2h avec un réchaud. Alors nous rechargeons la casserole à tour de rôle en engloutissant nos dîners lyophilisés.
La surface de l’océan Arctique est sublime. Sous nos pieds, une banquise épaisse s’est formée au début de l’hiver. Sous cette banquise, l’océan, profond de plusieurs centaines de mètres.
À l’approche de l’île Jenny Lind, le passage du Nord-Ouest s’hérisse de crêtes de compression et de blocs de glace de toutes tailles. © Anja Blacha
Dans les anfractuosités de la glace, nous tirons nos pulkas de 85 kg comme des forcenés.
Voilà ce à quoi ressemble véritablement l’Océan Arctique : un chaos de blocs de glace figés. Les plaques de banquise en se formant l’hiver, s’entrechoquent entre elles par l’action du vent et des courants marins. Cela donne un spectacle de champ de bataille.
Sur cette section, nous avançons à un rythme d’escargot. Dans les passages délicats, nous devons déchausser les skis, tirer les pulkas à la main et éviter de tomber entre les blocs de glace durs comme de la pierre. Une progression éprouvante qui nous ralentit considérablement. © Anja Blacha
Entre les champs de crêtes de compression se trouvent parfois des zones plus plates. Nous les empruntons, même si cela nous fait parfois changer complètement d’azimut et faire route vers le Nord. C’est la meilleure solution qui s’offre à nous pour contourner les immenses blocs de glace qui nous barrent la route.
Le spectacle de la banquise arctique.
Exténués, après une dizaine d’heure d’effort, nous plantons la tente au milieu d’un chaos de glace en espérant que les conditions s’améliorent pour la suite. Le soir, nous faisons les comptes. Ce qui nous importe c’est la distance parcourue à vol d’oiseau (en ligne droite) depuis le dernier camp. À force de zigzaguer sur ce terrain truffé d’obstacles, il nous arrive de faire plus de 5 kilomètres de détour sur une journée.
Le matin, le réveil sonne à 6h20. La fatigue des jours précédents se lit sur nos visages. La première étape de notre journée consiste d’abord à sortir de notre sarcophage glacé. L’humidité dans une tente en Arctique est l’ennemi n°1. Nous dormons dans des sacs étanches (appelés VBL : « Vapour Barrier Liner ») pour éviter que notre transpiration ne se transmette au sac de couchage en plumes. En dormant, un humain perd jusqu’à 200 cL d’eau par la respiration et la transpiration. Si cette humidité migre vers le sac de couchage, alors celui-ci va geler et ne sera plus utilisable. Par-dessus, nous rajoutons un grand sur-sac pour protéger le sac de couchage du givre qui pourrait se décrocher des parois de la tente. Sortir de ces 3 sacs est toute une affaire !
Toutes les 70 minutes, nous faisons une pause de 5 minutes assis sur nos traîneaux. Pour le déjeuner, nous déchaussons les skis et nous arrêtons un peu plus longuement. Ces arrêts marquent aussi le changement de la personne qui ouvre la route. Celle qui se retrouve derrière peut ainsi se décharger de la navigation.
La surface ne nous facilite vraiment pas le travail. C’est comme si elle avait été retournée par un motoculteur géant. Il nous faut la lire le mieux possible.
Très régulièrement nous grimpons sur des blocs de glace pour tenter de trouver au loin le meilleur passage. © Anja Blacha
C’est un slalom permanent entre les blocs où il est crucial d’anticiper les trajectoires au maximum.
À gauche ? À droite ? Notre horizon ressemble à ça. Heureusement, la météo est de notre côté. Je n’ose imaginer la navigation dans un « whiteout » sur ce terrain… Les températures sont clémentes (-15°C) et le soleil nous accompagne jusqu’à 20h30. La lumière rasante sur la banquise est magnifique et nous ferait presque oublier que nous avons passé 12h à batailler avec elle.
Il semblerait que le champ de crêtes de compression soit derrière nous. À la pause, je me retourne sur mes pas en espérant ne pas y retourner de si tôt, nous y avons laissé beaucoup de forces.
Nous croisons de nouveau la trace d’un ours polaire. Ses empreintes sont bien visibles sur la banquise, mais la surface dure et solide nous indique qu’elles ne sont pas si récentes.
La joie de retrouver une ligne d’horizon claire et le bonheur de filer sur une banquise plate. Nous profitons de ces conditions favorables pour avancer, et enregistrons des journées de plus de 35 kilomètres.
Les températures fraîches sont revenues, avec un petit -20°C en début de soirée. La chaleur générée par l’effort cristallise instantanément.
Pour être le plus rapide et efficace possible après la journée de ski, je m’affaire à démarrer le réchaud pour faire fondre de la neige avant même de monter la tente. © Anja Blacha
En arrivant sur l’île de King William, nous avons été accueillis par une grande antenne radio. C’est un système de surveillance américain appelé « Dew Line », il ceinture tout l’Arctique canadien. Nous avons quitté la banquise et sommes désormais sur la terre ferme. Il ne nous reste plus que 100 kilomètres avant l’arrivée.
Maintenant que nous sommes revenus sur la terre ferme et que nous avons quitté la banquise, nous observons régulièrement des traces de bœufs musqués.
Notre itinéraire ondule sur les collines de l’île King William. Au loin, un troupeau de bœufs musqués se dessine à l’horizon. Nous tentons de nous en approcher, mais chassés par les inuits, ils sont craintifs. © Anja Blacha
Nous plantons la tente à côté d’une quinzaine d’individus de cette espèce emblématique de l’Arctique. Il fait relativement chaud (-11°C) et la neige a ramolli. À travers, on aperçoit parfois des mousses et des lichens qui résistent et qui ne demandent qu’au printemps d’arriver.
Petit déjeuner à 40 kilomètres de Gjoa Haven. © Anja Blacha
Un ski devant l’autre, chaque enjambée nous rapproche un peu plus de notre objectif. C’est mécanique, répétitif, parfois monotone, mais il y a une grande satisfaction dans l’effort lent et la progression en autonomie dans cet univers hostile. © Anja Blacha
Les derniers coups de ski sont rapides et nous avançons à vive allure, comme magnétisés par les habitations. Nous savons que ce soir, nous re-goûterons aux joies de la civilisation : une douche et un dîner assis à une table.
Après 14 jours d’expédition et 400 kilomètres d’expédition en autonomie sur la banquise, nous atteignons notre objectif et le hameau de Gjoa Haven. C’est fait !
Cette expédition aura été magnifique. Faire équipe avec Anja était fabuleux. Notre expérience polaire à tous les deux nous a permis d’aller vite et d’être performant sur la glace. C’est un univers qu’il est toujours difficile d’appréhender et ensemble nous nous sommes beaucoup apportés l’un et l’autre.
Le passage du Nord-Ouest est sacrément sauvage. L’hiver il est encore bien gelé. Pour combien de temps encore ? Les mondes polaires sont aujourd’hui en première ligne du réchauffement climatique et pourtant ils ont une importance capitale pour l’équilibre climatique de notre planète — comme expliqué dans les 6 infographies partagées pendant l’expédition (production Twomorrow).
Cette aventure n’aurait pas pu avoir lieu sans le soutien de mes partenaires : Nollet Électricité, Niort Frères et Egerie, un immense merci à eux.