LA SEINE EN KAYAK

De Vernon à Honfleur

L’idée de descendre un fleuve à la rame au gré du courant jusqu’à la mer, a germé dans mon esprit depuis un certain temps. Même si j’avoue avoir longtemps rêvé du Yukon en Alaska et de l’Amazone au Brésil, mes allers et retours en train entre Paris où j’étudie et Rouen ma ville natale, m’ont inspirés à descendre la Seine en kayak. Au début de l’automne en octobre 2016, grâce au club de canoë kayak de Rouen, j’ai emprunté un kayak de mer et me suis lancé sur la Seine pour rejoindre La Manche. 

« Paris – Le Havre : une seule ville dont la Seine est la grand-rue »

 

— Bonaparte

Le kayak solidement arrimé au toit de ma 4L, départ vers Vernon par les petites routes de campagne.

La brume épaisse envahit lentement la forêt en ce début d’automne.

Je suis parti seul avec l’objectif d’être en autosuffisance alimentaire pour ne pas perdre de temps et d’énergie à me ravitailler. J’ai seulement rempli mes bouteilles d’eau à mi-parcours. Voilà ce que j’ai emporté avec moi : NOURRITURE : 2 saucissons, tomates, pain de mie, emmental, camembert, cacahuètes, crackers salés, nouilles instantanées, pâté, soupes lyophilisées, purée lyophilisée, 2 boîtes de thon, 6 œufs durs, chocolat, 40 barres de céréales, 7L d’eau // MATÉRIEL DE CAMP : tente, sac de couchage, sur-sac de couchage, tapis de sol, papier toilette, réchaud, gamelle et couverts, couteau, gourde, briquet, lampe frontale // VÊTEMENTS : combinaison de plongée (pas utilisée), veste de quart, polaire, jean, pantalon étanche, chaussures étanches, baskets, buff, casquette, mitaines, vêtements techniques de « première et seconde peau » // ÉLECTRONIQUE : trépied, appareil photo, 2 objectifs, batteries // AUTRES : brosse à dent, livres, carnet, stylo, lunettes de soleil, sacs étanches, serviette micro-fibres, un skateboard (pour faire les portages, mais non emporté finalement), tendeurs et cordes.

Départ de Vernon à mi-chemin entre Paris et Honfleur.

J’ai (très) peu d’expérience en kayak mais je compte sur une Seine calme et des températures douces pour apprivoiser ce nouveau mode de déplacement.

Je gagne en sérénité au fur et à mesure des kilomètres sur l’eau. La Seine est une voie de transit commerciale très importante. En kayak, il faut constamment rester en alerte pour ne pas croiser la route d’une péniche. La navigation fluviale est régulée par des signaux et panneaux et souvent j’emprunte des bras morts, libres de tout trafic (comme celui à droite).

Nombreuses sont les épaves sur les bords de la Seine. Certaines dans des états de délabrement plus avancés que d’autres.

Pour ma première nuit je fais la belle rencontre de « carpistes », pêcheurs de carpes. À mon passage en milieu d’après-midi, les deux copains m’invitent spontanément à débarquer pour partager une bière et du saucisson. Une fois par mois ils se retrouvent pour installer 6 cannes et campent en bord de Seine pour 48h. Assis dans de confortables chaises de camp, ils m’expliquent leur passion pour la pêche à la carpe. Elles peuvent peser jusqu’à 15 kg, il faut se battre pour les attraper puisqu’une fois que le poisson a mordu, il tente de s’enfuir. Il faut alors sauter dans son embarcation pour le tirer hors de l’eau, parfois au beau milieu de la nuit. Leurs cannes sont toutes alarmées et sonnent lorsqu’un poisson est en bout de ligne… Finalement je plante ma tente sur leur lieu de camp. Moi qui voulais faire une longue distance en kayak ce jour, c’est raté. Mais j’ai bien fait de me laisser entraîner par la gentillesse et la bonne humeur de ces deux pêcheurs. Jusque tard dans la nuit nous discutons autour d’un grand feu.

Notre campement. Mes amis pêcheurs sont très bien équipés, avec une grande tente, des lits de camp et même un petit chauffage. Contraste avec ma petite tente rouge d’1,5 kg !

Pas de carpe, mais un sandre d’attrapé ! Une fois l’hameçon enlevé, le poisson est relâché dans l’eau. La pêche à la carpe est pratiquée par plaisir et pour son côté sportif, les poissons ne sont jamais consommés

Le kayak de mer m’a été gracieusement prêté par le Club de Canoë Normand de Rouen, ce qui a considérablement facilité l’organisation de mon aventure. Sur le kayak, un compartiment de rangement à l’avant et à l’arrière me permettait de stocker ma nourriture, mon eau et mes affaires de camp. Dans un bidon étanche fixé au kayak, je stockais mon sac de couchage et les affaires qui devaient à tout prix rester sèche. Quant à mon appareil photo, je le gardais dans un sac étanche entre mes cuisses.

La brume matinale qui envahit Les Andelys, mêlée à la roche calcaire se reflétant dans le fleuve d’un calme olympien, confère à l’endroit une atmosphère surnaturelle.

Construit à la fin du XIIème siècle, le Moulin d’Andé avait pour fonction d’approvisionner la garnison du Château Gaillard des Andelys. Aujourd’hui le Moulin d’Andé est utilisé pour recevoir en résidence des créateurs de tous horizons et organiser des manifestations culturelles de qualité.

Au soleil couchant je me mets à l’affût d’un endroit pour bivouaquer.

Comme tous les soirs, j’installe mon campement pour passer la nuit. Mais cette fois je me trouve sur une île ! Un rêve d’enfant.

Tous les matins, je répète les mêmes gestes. Ranger le sac de couchage et mes affaires dans le bidon étanche, replier la tente et ranger mon matériel dans le kayak. Fixer le bidon à mon embarcation, fermer les petites trappes d’accès aux caissons de rangement, enfiler ma veste de quart avant de donner mes premiers coups de pagaie de la journée.

À 160 kilomètres de l’embouchure de la Seine, je rencontre ma deuxième écluse, celle d’Amfreville-sous-les-Monts adjointe au barrage de Poses.

Elle laisse passer 40 bateaux par jour tout tonnage confondu, soit presque 15 000 bateaux à l’année. En kayak sans autorisation pour passer, j’ai dû faire preuve de beaucoup de diplomatie pour continuer ma route, m’épargnant ainsi le portage de mon embarcation sur plusieurs kilomètres.

En se vidant, l’écluse découvre ses entrailles gluantes d’algues et de vase.

La dernière écluse dans mon dos, plus rien ne me barre désormais le passage jusqu’à la mer ! Sauf la traversée de Rouen, interdite aux kayakistes et qui me préoccupe un peu…

Tout au long de ma route, je suis passé près d’appontements destinés au chargement de sable ou d’autres matières premières sur les péniches de transport.

J’entre dans Rouen après avoir franchi le pont Corneille. La navigation est interdite aux kayaks jusqu’au pont Gustave-Flaubert. Je tente tout de même ma chance en traversant aussi vite que possible en m’arrêtant quelques instants pour photographier Rouen depuis la Seine. Ici la tour des archives et le siège du département de la Seine-Maritime.

Quelques mètres plus loin, sur ma droite, le monument le plus connu de la ville : la Cathédrale Notre-Dame de Rouen.

Rouen.

Silos à grain de Sénalia à Rouen.

Bien que le port autonome de Rouen soit situé à 80 kilomètres par bateau de l’estuaire (soit 6 heures de navigation), il est en mesure de recevoir des navires très importants (jusqu’à 292 mètres de long et 150 000 tonnes).

Ce qui explique la raison pour laquelle les kayaks et autres embarcations légères sont interdites à proximité de ces mastodontes. Finalement je traverse les quelques kilomètres de Rouen sans encombre.

La sortie de Rouen est marquée par un paysage industriel comme celui de l’ancienne raffinerie de Petit-Couronne et par une Seine sous l’influence des marées. Comme je m’épuise à remonter le courant à la marée montante, je décide de ne sortir qu’à la marée descendante, ce qui se révèle être assez contraignant pour les horaires de navigation. Il me faut partir tôt le matin, m’arrêter le temps que la marée monte et repartir en début d’après-midi à la marée descendante jusqu’au soir.

Je me retrouve dans une situation délicate. Depuis que j’ai passé Rouen, la Seine s’est élargie et les berges du fleuve sont devenues de hautes digues où il m’est difficile de débarquer. À la tombée de la nuit, aucune cale, quai où encore ponton ne sont en vue pour m’arrêter…

À la frontale, je continue à pagayer en restant bien proche du bord afin de ne pas gêner la circulation des longues péniches qui à toute allure crèvent le silence du crépuscule.

Il n’aurait pas été raisonnable de continuer à naviguer seul dans la nuit encore longtemps. Après avoir trouvé un petit escalier creusé dans la digue, j’accoste tant bien que mal et trouve finalement refuge dans le jardin d’inconnus. Fatigué, je monte le camp et à ma surprise mon hôte m’apporte très gentiment une soupe chaude faite maison et des pommes de son jardin.

Nageant à la surface de l’eau, un ragondin. Nombreux sur les rives de la Seine, ils sont classés comme « espèce nuisible ». Ils dégradent notamment les berges favorisant leur érosion progressive et fragilisent les fondations d’ouvrages hydrauliques par leur réseau de galeries.

Tous les jours, je croise des cygnes sur la Seine. Ils sont parmi les plus gros oiseaux volants, pesant jusqu’à 15 kg et mesurant 1,50 m environ.

Il y a peu de ponts entre Rouen et Le Havre, hormis ceux de Brotonne, de Tancarville et de Normandie. Des bacs suppléent cette absence et participent à l’animation du fleuve, mais ils imposent une grande prudence au navigateur.

Le pont de Normandie, long de plus de 2 kilomètres est un pont à haubans qui enjambe l’estuaire de la Seine et relie le Havre à Honfleur.

Le passage sous le pont de Normandie marque mon arrivée dans La Manche et met un terme à mon aventure de plus de 220 kilomètres sur la Seine en kayak.

Arrivée à Honfleur juste après avoir franchi l’écluse de la ville, située sur la rive sud de l’estuaire de la Seine. Les entrées se font uniquement aux heures rondes, mais l’éclusier m’avait repéré au loin en train de pagayer et attendu 15 minutes avant de refermer l’écluse derrière moi, m’évitant ainsi de patienter une heure devant la porte dans le courant de la marée montante.

Le Vieux Bassin caractérisé par ses maisons aux façades recouvertes d’ardoises se reflétant dans l’eau, icône d’Honfleur.

6 jours de navigation // 220 kilomètres à la rame

Paris-Normandie du vendredi 11 novembre 2016.

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