EXPÉDITION SCIENTIFIQUE AU GROENLAND

1 500 km en kite-ski d’Ilulissat à Qaanaaq

En juin et juillet 2024, j’ai mené une expédition au Groenland avec la glaciologue Dr. Heïdi Sevestre pour recueillir des données scientifiques sur la densité de la neige et la pollution présente à la surface de la calotte polaire.

Pendant 1 mois nous avons évolué dans un environnement naturel dénué d’influence humaine. Un terrain sensible au changement climatique qui se caractérise par ses propriétés exceptionnelles d’éloignement, de sécheresse et de pureté.

Contrairement aux expéditions scientifiques mécanisées lourdes et polluantes, nous avons choisi d’utiliser le kite-ski, un mode de déplacement agile n’émettant aucune émission. Nous sommes partis d’Ilulissat sur la côte ouest, pour rejoindre la communauté Inuit de Qaanaaq tout au nord de l’île, soit 1 500 km de kite-ski.

Bienvenue à Ilulissat, ville de presque 5 000 habitants sur la côte ouest du Groenland. 

Site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, la région d’Ilulissat abrite le glacier Sermeq Kujalleq. C’est l’un des glaciers les plus productifs au monde. Il est responsable d’environ 10 % de la production totale d’icebergs au Groenland.

Nous profitons du soleil de minuit pour aller observer le glacier de plus près, avant de commencer notre expédition vers le Nord.

Top départ ! Après des mois de préparation, nous voilà enfin sur la calotte polaire avec Heïdi. Nous formons un duo complémentaire. Heïdi est glaciologue et sa spécialisation porte sur la dynamique des glaciers, les glaciers tropicaux et les plateformes de glace en Antarctique. Titulaire d’un doctorat en glaciologie de l’Université d’Oslo, elle travaille à l’AMAP, le Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique, pour coordonner la recherche sur le climat, les polluants et la santé des écosystèmes dans l’Arctique. Elle se consacre à l’amélioration de la visibilité des connaissances sur le climat auprès des gouvernements, des communautés, du grand public et des entreprises et à la mise en œuvre d’actions concrètes et efficaces contre le changement climatique.

Nous mettons nos kites en l’air pour la première fois. Ils volent dans un ciel bleu profond et nous tractent doucement. En ce début d’expédition, nous devons à tout prix gagner de l’altitude : le bord de la calotte est truffé de crevasses, de lacs et de rivières d’eau de fonte.

Les pulkas nous suivent et glissent parfaitement dans ce décor tout blanc. Elles sont chargées avec tout le matériel nécessaire pour évoluer en autonomie sur la calotte polaire : réchaud, tente, sac de couchage, tapis de sol, corde, matériel de sauvetage crevasse, fusil (obligatoire en cas d’attaque d’ours polaire), vêtements d’expédition, batteries, panneaux solaires, caméras, appareils de communication satellite, matériel scientifique, matériel de réparation, paire de skis de secours… Chacun de nous a 30 jours de nourriture, 7 litres de fuel et 4 kites de tailles différentes. Le tout est réparti dans 2 pulkas côte à côte pour un total d’environ 120 kg. Au loin, on peut encore apercevoir quelques montagnes et la côte de l’inlandsis.

Nous profitons d’un jour sans vent pour commencer notre programme de recherche polaire. Avec Heïdi, nous creusons un trou d’1 m 50 de profondeur, jusqu’à atteindre la glace, pour effectuer des mesures de densité du manteau neigeux.

Ensuite nous prenons des petites carottes de neige à intervalle régulier, pour les peser et mesurer leur température. Ces données sont très utiles pour valider les données satellitaires et connaître la quantité de neige que reçoit le Groenland chaque année.

Notre campement à 2 400 m d’altitude. Sous nos pieds, il y a plusieurs kilomètres d’épaisseur de glace. C’est vertigineux… Avec le réchauffement climatique, le Groenland perd aujourd’hui 30 millions de tonnes de glace par heure (!). Si toute la glace présente au Groenland venait à fondre, on constaterait une élévation du niveau des mers de 7 m partout sur le globe.

Conditions de vent, de surface et de visibilité parfaites ! Le vent gonfle nos voiles de 15 m² par le sud-est et me fait parfois faire des pointes à 40 km/h ! La neige fraîche mais peu profonde, ressemble à un tapis scintillant et nous porte légèrement.

En général, lorsque nous sommes lancés, nous nous arrêtons toutes les deux heures et demi pour manger et boire. Nous pouvons kiter sans trop nous préoccuper de la tombée de la nuit, puisqu’à cette saison, le soleil ne se couche jamais. Il décline un peu sur l’horizon, mais le jour est permanent.

Au milieu de la journée, nous avons eu le droit à un spectacle fantastique. Le soleil a transpercé les nuages et un immense parhélie est apparu. Plusieurs halos gigantesques cerclaient le soleil.

C’est un phénomène lumineux provoqué par la réflexion des rayons du soleil sur les cristaux de glace dans le ciel. C’était irréel et tellement beau. Dans ces conditions de rêve, nous enregistrons 217 km en une journée !

Lorsque nous avançons avec un léger vent dans le dos, nous nous retrouvons à décrire de grands mouvements avec le kite. Il nous tracte légèrement et nous zigzaguons sur la surface immaculée.

Nous avons sorti nos pelles pour creuser deux trous de neige de 1,80 m de profondeur. En laissant un mince mur de neige entre les deux cavités, on peut voir par transparence la densité et la composition du manteau neigeux.

Chaque strate représente différents épisodes météorologiques. Les lignes lumineuses marquent souvent des événements liés à la fonte de la neige. L’analyse de la densité et de la composition de cette neige permet de remonter dans le temps et de déterminer l’accumulation des précipitations au Groenland.

Depuis le début de l’expédition, je collecte des échantillons de neige à intervalles réguliers. Je les fais ensuite fondre pour les filtrer à l’aide d’une seringue filtrante.

Je conserve chaque filtre précieusement pour les confier à mon retour à l’Université de Colorado Boulder aux États-Unis. Ces filtres seront analysés pour déterminer la quantité de noir de carbone présent dans la neige ainsi que sa provenance. Ce noir de carbone est une micro-particule de pollution atmosphérique, résidu de la combustion des énergies fossiles et de la biomasse (feux de forêt par exemple). En se déposant sur la calotte polaire du Groenland, il l’assombrit et comme les couleurs foncées attirent davantage les rayons du soleil, le noir de carbone accélère sa fonte. On dit qu’il affecte l’albédo du Groenland en atténuant sa capacité à réfléchir les rayons lumineux.

Tous les matins, c’est le même rituel : analyser la force du vent pour choisir quelle voile sera la plus adaptée à la progression puis déplier le kite en s’assurant que toutes les lignes ne sont pas emmêlées…

… et enfin décoller !

La tente est aussi bien un refuge contre les éléments qu’un rempart contre l’immensité.

À l’intérieur, c’est une petite routine qui se met invariablement en place : installer nos sacs de couchage, faire fondre de la glace pour obtenir de l’eau, nous alimenter, évaluer notre progression et nous reposer.

Aujourd’hui nous devons remonter un peu au vent. Pour cela il faut cranter le plus possible pour s’en rapprocher au maximum. Tout le corps est penché d’un côté pour tenter de contrer la voile de 15 m² qui n’a de cesse de vouloir s’éloigner du vent. Fléchis, les fesses au ras du sol, les bras en extension, nous tirons sur nos barres en faisant tourner nos voiles du mieux que nous pouvons pour leur donner de la puissance. Mais rien n’y fait, arcboutés de la sorte, nous ne pouvons tenir la position très longtemps. Nos jambes sont fourbues et nous supplient de nous relever.

Pour nous repérer, nous avons à notre poignet un GPS Foretrex Garmin dans lequel nous avons entré des points GPS à atteindre. C’est moins romantique que de se diriger avec le soleil et le vent, mais c’est bien pratique lorsque les conditions sont dégradées.

Malgré l’altitude à laquelle nous nous trouvons (2 641 m), il fait « très chaud » avec une température de -5°C à -10°C. À l’intérieur de la tente, s’il y a du soleil, un effet de serre se crée et il peut faire +15°C !

À chaque camp, je récupère un échantillon de neige pour la filtrer et la faire analyser.

À l’approche de Qaanaaq, les montagnes pointent le bout de leurs sommets. Graduellement nous perdons de l’altitude. En nous rapprochant du bord de la calotte, nous franchissons plusieurs crevasses (recouvertes de ponts de neige) et une multitudes de rivières d’eau de fonte, avec les kites en l’air.

Quelle joie d’enfin apercevoir la côte et de découvrir ce relief !

À seulement 750 m de notre objectif, le vent est tombé et nous avons dû terminer en mettant les peaux sur les skis et en tirant les traîneaux pour rejoindre la limite de la neige.

Arrivés sur le bord de la calotte polaire après 1 500 km de kite-ski depuis Ilulissat. Il nous aura fallu 15 jours !

Mais l’aventure n’est pas terminée ! 8 km et 800 m de dénivelé négatif nous séparent du fjord Bowdoin. Cette petite langue de terre est totalement sauvage.

Nous avons avec nous environ 260 kg de matériel que nous devons descendre sur notre dos, impossible de tirer les pulkas sur ce terrain. Nous divisons la charge en 4 et portons chacun entre 30 et 35 kg.

La fin de notre expédition est éprouvante. Aucun sentier ne mène à la côte et il nous faut trouver notre chemin au travers de la roche, de la terre et de la boue.

Au prix de gros efforts, nous sommes parvenus à descendre tout notre matériel au bord du fjord où nous avons rendez-vous avec notre contact, pour être récupérés en bateau et rejoindre le petit village de Qaanaaq.

Nous aurons attendu le bateau pendant 6 jours. Ici, tout au nord du Groenland, nous sommes dans l’intersaison. Quelques jours auparavant le fjord Bowdoin était encore totalement encombré par les glaces et des plaques de banquise à Qaanaaq empêchaient la mise à l’eau des bateaux. Doucement, elle s’est retirée pour laisser place à l’eau libre.

Par 77° de latitude Nord, Qaanaaq est la localité la plus septentrionale du Groenland. Elle compte environ 600 habitants.

À cette saison, le soleil décline sur l’horizon mais ne se couche jamais. Le soir, nous observons le magnifique spectacle que nous offrent le ciel et les icebergs.

Il est temps pour nous de regagner le sud du pays et de dire au revoir à Qaanaaq.

En chemin, nous jetons de derniers regards à la sublime côte du Groenland. 

L’Arctique se réchauffe 3 fois plus vite que nulle part ailleurs sur le globe. L’avenir de notre planète dépend en grande partie de la bonne santé des pôles. Aujourd’hui, le Groenland perd l’équivalent de 30 millions de tonnes de glace chaque heure. Si cette glace venait à disparaître entièrement, son volume suffirait à élever le niveau des mers de 7 mètres partout dans le monde.

La science n’a pas d’impact si elle n’est pas communiquée. Avec l’expertise scientifique d’Heïdi, mon expérience polaire et une passion commune pour la glace, nous tentons de rendre nos découvertes accessibles à tous, rapprochant ainsi les régions polaires de l’esprit et du cœur des gens.

Cette expédition n’aurait pu avoir lieu sans le soutien de mes partenaires : Nollet, Egerie et Garmin, un immense merci à eux.

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